Grand-Papa Bi à la guitare

Dublin.

Un lundi soir d’août au Brazen head, plus vieux pub de la ville avec son ouverture en 1198. Les plafonds sont bas, les vénérables poutres usées par le heurt répété de crânes enthousiastes ou éméchés. Trois musiciens s’installent derrière la table qui leur est réservée. Un joueur de banjo-mandoline-accordéon possédant la carrure d’un joueur de rugby, une dame dans la quarantaine, la voix haut perchée, qui tape délicatement sur un bodhran, et Grand-Papa Bi à la guitare.

Difficile de préciser l’âge du personnage. Les cheveux et la moustache  sont d’un blanc cotonneux. Les lunettes d’écaille ont certainement quarante ans. Il tient sa guitare de façon bizarre, presque à plat comme une pedal-steel. Le poignet gauche est cassé par l’angle de l’instrument. Qu’importe! Grand-papa Bi n’a que faire des accords barrés, jouant toujours en do ou en sol, s’aidant d’un capo selon la tonalité des rigodons du rugbyman. La main droite tient un rythme militaire d’une redoutable simplicité, un deux trois quatre, pas moyen de s’y tromper. La dame chante juste, bien qu’il soit difficile de percevoir son soprano au milieu des conversations des buveurs.

L’ensemble est passable, sans plus. Mais Grand-Papa Bi, qui soutient la chanteuse d’une honnête voix de baryton, a un fun noir. Le rugbyman aussi, qui sourit de contentement derrière son banjo fabriqué au Japon. La chanteuse est moins à l’aise. Chanter des ballades irlandaises dans un pub envahi de touristes n’est pas un travail de tout repos, la musique se trouvant ici à tenter de recréer pour des inconnus le charme des soirées de musique entre amis, le tout dans un but mercantile.

À mes côtés, Fiston fait la baboune. Où sont donc les grands musiciens irlandais, ces funambules de la vitesse pure et de la précision? Ceux qui ne sont pas en tournée en Amérique ou à Dubai sont, semble-t-il, dans leur cuisine, dans leur salon, en attendant que le grain passe.

Au Cobblestone, nous tombons sur un meilleur équipage, une joueuse de bouzouki et quatre ou cinq apprentis violoneux, du jeunot de vingt ans à l’ex-hippie de soixante, qui jouent, plutôt bien, des airs qui ont fait leur chemin jusqu’à St-Jacques-le-mineur ou Joliette. 

La bière irlandaise a ceci de merveilleux qu’elle vous traverse sans laisser de traces. On s’éveille sous la pluie le lendemain, frais comme une rose.

One Response to Grand-Papa Bi à la guitare

  1. Gabriel Savard dit :

    J’adore!
    Gabriel

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