Le patineur de Bratislava

17 février 2014

Bratislava est une étrange ville, à cheval entre plusieurs époques.

Les Slovaques, qui n’ont acquis leur indépendance qu’en 1993, suite au divorce de velours suivant la révolution du même nom à Prague en automne 1989, reviennent de loin.

Des siècles de sujétion aux Hongrois, puis aux Austro-Hongrois, un bref épisode républicain au sein de la Tchécoslovaquie entre 1918 et 1939, une pseudo-indépendance trouble sous la botte nazie de 1939 à 1945, puis retour dans le partenariat tchécoslovaque, domination soviétique jusqu’en 1989…

Les Slovaques sont aujourd’hui contents d’être chez eux, mais ils semblent avoir tout à faire en même temps. Le Château qui domine la ville, longtemps laissé à l’abandon, a été restauré, mais il n’y a presque rien dedans. Dans la galerie nationale, beaucoup de toiles sont anonymes. La mémoire semble avoir été délavée par les invasions. Il reste une charmante petite ville médiévale, aux rues sinueuses, parfois déparée par des édifices massifs, décrépits, qui évoquent le Bloc de l’Est.

Le Danube longe la ville, véritable autoroute liquide entre Budapest et Vienne. Sur l’autre rive, des dizaines et des dizaines de HLM pastel, des usines. Le cœur de la ville tourne le dos au fleuve, se love autour des deux places principales, sous la silhouette protectrice du Château. La vie culturelle y est florissante, un opéra, une maison de  la musique, des bars, des cafés, des hôtels, des restaurants où l’on trouve de tout. Cette beauté est en devenir, greffée sur les vestiges de l’ordre ancien.

L’image qui me reste pourtant, c’est ce patineur solitaire, à minuit moins quart, sur la patinoire aménagée sur la Hviezdoslavovo namesti, cent mètres devant l’opéra. Plus de cinquante ans, s’appuyant sur un bâton de hockey, sans but, sans rondelle, patinant lentement sous les réverbères, qui attendait-il?

Il voulait jouer, même s’il arrivait sur le tard.