Au salon du livre de Québec

11 avril 2019

Je serai au salon du livre de Québec aux heures suivantes:

Jeudi 11: 10-12 h (courte échelle) stand 6
Vendredi 12: 12h30-13h30 (courte échelle)
Vendredi 12: 19-20h (Québec Amérique) stand 25
Samedi 13: 17-18h (Québec Amérique)
Dimanche 12h30-13h30 (Québec Amérique)
Dimanche 11h30 – Table ronde «Mission médecin» (Scène des rendez-vous littéraires, 55 minutes) avec Jean Robert et Jean Désy.

Au plaisir de vous voir!


Wolfibourg

7 avril 2019

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J’entretiens une longue relation avec Wolfgang Amadeus Mozart, né le 27 janvier 1756 à Salzbourg, décédé le 5 décembre 1791 à Vienne. J’écoute probablement, en moyenne, 21 minutes de sa musique chaque jour. J’ai lu beaucoup de livres à son sujet, en plus de visiter les lieux qu’il a marqués de sa présence, surtout dans son Autriche natale. Je mets souvent du Mozart, surtout les concertos pour pianos, en écrivant. Ce n’est pas trop envahissant comme du rock, de la chanson ou du Beethoven. S’y expriment une sorte de grâce, de l’humour, du tragique, le tout développé, le plus souvent, avec une étonnante économie de moyens. Bien que je n’aie aucunement pas la prétention d’atteindre au résultat, j’ai souvent dit en blague qu’un de mes plus grands modèles, en littérature, était Mozart.

Cet amour de Mozart est loin d’être universel. Une amie de jeunesse, claveciniste acquise aux charmes du baroque, considérait que l’illustre Amadeus composait «de la musique de club», où abondaient les formules, les cadences pom-pom-pom-pom, les effets aussi redondants que les blagues éculées d’un duo de stand-ups dans le Montréal des années 50. Certains ne tolèrent que sa musique d’opéra, le reste leur paraissant mièvre et banal.

J’arrive d’un séjour de trois jours à Salzbourg, qui pourrait aussi bien s’appeler Wolfibourg tant la figure du musicien y est apprêtée à toutes les sauces, Wolfi étant le diminutif affectueux utilisé par sa femme Constance dans l’Amadeus de Milos Forman. Salzbourg, quatrième ville en importance en Autriche avec ses 150,000 habitants, a beau être située au cœur d’un paysage de rêve, elle demeure essentiellement connue comme la ville qui a donné naissance au célèbre génie du dix-huitième siècle. Il y a une place Mozart, au cœur du quartier des musées, avec une statue pompeuse qui ressemble peu à l’original. Deux maisons, celle où il est né, celle où sa famille a habité à partir de 1773, ont été transformées en musées assaillis par des meutes de touristes. Les Mozartkugel, petites bouchées de marzipan à la pistache recouvertes de chocolat noir, sont en vente partout, notamment au Café Fürst, où la chose fut inventée en 1890. Café Mozart, restaurant Mozart, Mozarteum, festival Mozart, tout est Mozart, occultant le dynamisme culturel d’une ville de taille moyenne qui compte des universités, des musées et des galeries d’art moderne, tout en demeurant quelque peu confite dans sa réputation de ville bourgeoise.

Bourgeoise, Salzbourg l’est certainement. Pour commencer, elle occupe une place à part en Autriche, du fait qu’elle n’est devenue réellement autrichienne qu’en 1816. Fondée par les Romains sous le nom de Juvavum, abritant un cloître catholique à partir du cinquième siècle, Salzbourg fut d’abord un évêché, puis une ville-État gouvernée par des princes-archevêques à partir du treizième. À cette époque et jusqu’en 1803, Salzbourg, bien qu’indépendante, demeure dans la sphère d’influence allemande, plus précisément bavaroise.

D’où cette première ambiguité au sujet de Mozart: né en 1756 dans l’archidiocèse de Salzbourg, il n’est techniquement ni allemand, ni autrichien. Chaque pays peut donc se disputer sa paternité. Jusqu’en 1781, soit jusqu’à ses 25 ans, Mozart, comme son père Léopold, est à l’emploi du prince-archevêque Hieronymus von Colloredo-Mansfeld. Le tout ne se passe pas très bien, Mozart demandant des congés pour voyager et étouffant d’une manière générale dans l’atmosphère confinée de la cour de province. Aussi, en 1781, après un épisode où le prince-archevêque l’aurait traité de voyou, Mozart quitta-t-il Salzbourg pour Vienne, où il vivra jusqu’à sa mort en 1791. Il revint une fois dans sa ville natale en 1783, pour présenter sa femme Constance à sa famille.

L’état-archevêché de Salzbourg ne devait pas survivre très longtemps à son plus illustre fils. Les guerres napoléoniennes devaient marquer le glas de la ville-État. En 1803, la ville est donnée à l’archiduc Fernand d’Autriche en échange du grand-duché de Toscane. En 1805, elle passe à l’Autriche. En 1810, elle est annexée à la Bavière. Enfin, en 1816, à la suite du Traité de Vienne marquant le partage de l’Europe, Salzbourg revient à l’Autriche. La ville a perdu le droit de se gouverner et n’est plus qu’une ville secondaire parmi d’autres. Il s’en suit une période de déclin économique, possiblement de dépeuplement, à tel point que Franz Schubert, en visite en 1825, note qu’il pousse de l’herbe entre les pavés, signe que plus grand monde ne circule dans le quartier historique. Curieusement, Schubert ne se précipite pas pour visiter la veuve de Mozart. Il est plutôt intéressé par la mémoire de Michael Haydn (1737-1806), le frère de l’autre, qui a vécu la majeure partie de sa vie à Salzbourg.

C’est que Mozart, mort en 1791, est à l’époque dans un relatif oubli. Sa femme Constance Weber (1762-1842), remariée avec Georg Van Nissen, un diplomate danois, s’est établie à Salzbourg en 1824. Avec son mari, elle travaille à la mémoire de Mozart, soit en veillant à la propagation de ses oeuvres, soit en publiant la biographie qu’a écrite Van Nissen. Non loin vit la sœur de Mozart, Anne-Marie dite «Nannerl» (1751-1829), alors veuve, gagnant sa vie en donnant des cours de musique. Ainsi, les proches du compositeur décédé ont gagné Salzbourg, dans le désir inconscient ou avoué d’y fixer la mémoire du compositeur.

Par ailleurs, même si ses oeuvres ont continué d’être jouées après sa mort, Mozart demeure dans son relatif oubli jusqu’à ce que sa légende de prodige déchu, mort dans la misère, soit récupéré par le mouvement romantique. Cette existence courte et brillante, ce passage de la faveur extrême à la misère et à la fosse commune, en faisait un personnage dramatique idéal. Bien des années plus tard, les musicologues s’apercevront que Mozart avait d’excellents revenus pour l’époque. S’il était souvent en train de quémander de l’argent à ses amis, c’était qu’il menait un train de vie fastueux et aimait le jeu.

Par ailleurs, Salzbourg la bourgeoise semble s’apercevoir qu’elle pourrait tirer bénéfice, finalement, du «voyou» évoqué par le prince-archevêque Colloredo. Le 5 septembre 1842, quelques mois après la mort de Constance, en présence des deux fils du compositeur, la statue de Mozart est dévoilée sur la place qui portera son nom. Salzbourg, désormais plus accessible au tourisme par le développement du chemin de fer entre Munich et Budapest, deviendra pour toujours associée au souvenir du compositeur, qu’elle entretiendra par la tenue de concerts et de festivals, par la vente, dans d’innombrables boutiques de souvenir, de tabliers Mozart, de calendriers Mozart, de tire-bouchons Mozart…

Évidemment, la musique de Mozart a survécu par des canaux plus nombreux et importants. Il reste que Constance Weber-Mozart, veuve Van Nissen, décrite sous un jour un peu léger dans Amadeus, aura finalement gagné son pari. Son Wolfi, qui aurait pu glisser dans l’oubli, est toujours vivant. Et Salzbourg, dans sa vallée entourée de montagnes enneigées, engrange les profits, en même temps que ceux de The Sound of Music.