Quand le coup de foudre revient

29 décembre 2013

(Reproduit plus bas, l’intégral de l’article que Marie-France Bornais consacre à Prague sans toi dans Le journal de Québec d’aujourd’hui.)

Pour son 14e roman, le médecin Jean Lemieux offre à ses lecteurs une délicieuse histoire d’amour où la combativité d’un homme amoureux, la fragilité des liens affectifs, la musique et l’une des plus belles villes du monde sont entrelacées: Prague sans toi.

Au cours des dernières années, Jean Lemieux a écrit trois polars de suite qui mettaient en scène le même personnage, mais avait écrit auparavant des romans pour adultes et des romans pour la jeunesse.

«Mon dernier, L’homme du jeudi, était un roman assez sombre et j’avais envie d’écrire quelque chose de plus léger dans le ton, avec une construction moins structurée. Je fais de la pratique générale en médecine… et en écriture aussi!» commente-t-il en entrevue.

En mêlant sa passion pour la musique avec celle du voyage, Jean Lemieux a donc imaginé l’histoire de Patrick Robillard, un étudiant en littérature qui tombe amoureux fou d’Eva, à Prague, et fera l’impossible pour la conquérir. Onze années plus tard, après deux enfants et un roman, leur couple traverse une période difficile et la reconquête s’impose.

Proche de lui

L’écrivain considère que Patrick est proche de lui. «C’est un littéraire. C’est un écrivain. Mais Prague sans toi, c’est l’univers familial. C’est un roman qui parle beaucoup de la famille, du couple, de la relation avec le père. Patrick, c’est un homme qui a découvert sa vocation dans la paternité: il est fou de ses enfants, à tel point que ça met quasiment son couple en péril. J’ai des enfants moi-même et c’était un peu explorer la sphère familiale, mais pas dans le cadre du premier amour. Plutôt la vie familiale après 10 ou 12 ans, avec de jeunes enfants, des gens qui ont des carrières.»

Prague l’a beaucoup inspiré. «La première fois où j’y suis allé, j’ai erré dans la ville pendant une semaine. Les rues sont toutes entrecroisées dans le centre-ville et il y a une atmosphère particulière. C’est aussi une ville musicale. J’ai eu envie d’écrire quelque chose qui se passait là.»

Jean Lemieux a aussi une longue histoire avec Mozart, qui apparaît dans plusieurs de ses livres. «C’est mon musicien fétiche. Sa vie m’a toujours fasciné. Mozart et Prague, ça va un peu ensemble. Il a vécu là. J’ai imaginé cette histoire avec une musicienne et un Québécois littéraire, quand leur couple bat de l’aile.»

Comme un opéra

Il a écrit le roman en deux actes, un peu comme un opéra. «Il y a une certaine enflure de l’émotion, des scènes quasiment loufoques, d’autres où c’est très émotif. Le héros se met les pieds dans les plats. Il y a des triangles amoureux. Le mouvement est rapide. J’ai tout mis ça ensemble et je me suis beaucoup amusé. Ça a été un grand bonheur d’écriture. Je voulais faire un livre ensoleillé, lumineux, mais où, comme dans la musique de Mozart, on aborde des choses graves comme des drames.»

La question de la reconquête est bien présente. «Je m’aperçois que j’ai posé une question assez difficile à résoudre: qu’est-ce qu’on fait, dans un couple, quand on a l’impression que ça achève et que ça va mal? Tous les couples qui durent passent par ces périodes et, parfois, c’est plus difficile. Comment survivre à l’usure du couple? Aux tensions des carrières qui sont divergentes? À la routine? J’ai abordé ces questions d’une façon assez légère.»

A-t-il trouvé des solutions? «On en cherche tous! Il n’y a pas de solution magique. Il ne faut pas avoir peur d’oser, de dire les choses et de foncer. Il y a moins de danger là que dans les choses qui sont tues.»


Des Récollets, des cartes et du drapeau de Carillon

14 décembre 2013

Lors des parties de cartes familiales, mon père, aguerri par des décennies de bridge et de fréquentation de la loge ibervilloise des Chevaliers de Colomb, avait l’habitude de prendre des levées, au coeur ou au 500, avec une petite carte insignifiante (sa préférée était le trois de trèfle), dernière de sa sorte, en tapant de la jointure sur la table et en s’exclamant triomphalement: «Le récollet!».

L’ expression, aussi récurrente qu’obscure, s’apparentait à d’autres leitmotivs tels «C’est beau joué le même soir!», pour accélérer le tempo, et «Une autre que les Anglais auront pas!», en vidant une bouteille. J’étais au collège. Je savais vaguement que les Récollets étaient un ordre religieux associé au Régime Français, tel qu’en témoignaient certaines rues du Vieux-Montréal ou de la haute-ville de Québec, mais je saisissais mal leur rapport avec ces petites cartes qui, l’atout passé, permettaient à mon père de nous faire la leçon.

La réponse m’est venue vingt ans plus tard quand, feuilletant un livre sur l’histoire de Québec, je tombai sur un dessin illustrant la légende du «Dernier Récollet». Après la conquête, les Britanniques interdirent tout recrutement pour les religieux, Jésuites, Récollets ou autres, qui instruisaient l’élite «canadienne». Certains ne retournèrent pas en France et demeurèrent au pays, de moins en moins nombreux, jusqu’à ce fameux dernier Récollet, longtemps seul de son ordre, le frère Louis Martinet, dit Bonami, enterré en 1848 dans l’église Saint-Roch.

Ainsi, ce dernier Récollet allait se transformer, cent vingt-cinq ans plus tard, par la magie de la mémoire populaire, de partie de cartes en partie de cartes, en un trois de trèfle brandi par un Chevalier de Colomb. Qu’il ne doive sa force qu’au seul fait d’être le dernier était l’illustration de la résistance des conquis: pour vaincre, il fallait résister, durer.

Le frère Louis devait passer à la postérité d’une autre façon. À l’automne 1847, peu avant de mourir, il confia à un notable de Québec, Louis de Gonzague Baillargé, le drapeau de Carillon, jalousement conservé par les membres de son ordre depuis la victoire de Montcalm, en 1758. C’est ce drapeau, orné des fleurs de lys qui avaient disparu depuis le règne de l’Union Jack, qui devait inspirer, sous Duplessis, le fleurdelisé, emblème du Québec.

Ce drapeau, à sa façon, était un récollet.