Les goélands d’Istamboul

26 Mai 2011

La nuit, les goélands tournent au-dessus de la Mosquée Bleue. Réfléchissant les feux des minarets, ils évoquent presque les jeux électroniques que vendent, jusque passé minuit, sur des étals de fortune, l’un ou l’autre des innombrables marchands de la rue.

Les goélands survolent aussi Sainte-Sophie, dont l’éclat, plus cuivré, les met moins en valeur. Parfois, ils échappent aux projecteurs et s’évadent, à tire d’aile, vers la Corne d’Or, le Bosphore ou la mer de Marmara.

Une ville vous atteint toujours comme une vague, plus ou moins forte ou émouvante. Istamboul est une vague de fond, partie d’aussi loin, d’aussi longtemps, que Constantinople. Le monde n’a pas de centre, mais, pendant des siècles, Byzance, puis Constantinople ont prétendu à ce titre.

L’empire ottoman, on a tendance à l’oublier, n’est tombé qu’il y a 89 ans. Les Turcs, eux, ne l’oublient pas. Istamboul, aujourd’hui, malgré les inégalités sociales, le conflit kurde et les tensions religieuses, affiche une vitalité stupéfiante. Istamboul n’est pas la Turquie. Dans sa partie européenne, pour le moins, Istamboul est résolument tournée vers l’Occident, à tel point qu’il faut se demander pendant combien de temps l’Europe se passera de ce pays de 78 millions d’habitants.

Quand j’entre dans Sainte-Sophie (qui est en fait Sainte Sagesse), consacrée en l’an 415, j’ai l’impression de sortir de la révolte des Patriotes. Au palais de Topkapi, le brasero offert par Louis XV à je ne sais quel Sultan, apparaît comme un exhibit récent. Dans ce contexte, la majorité de Stephen Harper et la fièvre orange qui a balayé le Québec apparaissent aussi fugaces que ces éclats d’ailes que j’entrevois dans le ciel d’Istamboul.

Dans le cas du gouvernement conservateur, je me garde une petite gêne. En 1453, quand Mehmet II a pris Constantinople, qui aurait dit que l’empire ottoman allait durer 469 ans?


Appel à tous: Fernandel à Iberville.

11 Mai 2011

Je déguste de la rascasse au basilic, Quai du Port, à Marseille, quand soudain, admirant la «Bonne Mère» de la cathédrale Notre-Dame-de-la-Garde, surgit dans mon cerveau embrumé par le Bandol, cet étrange souvenir: Fernandel à Iberville.

Fernand Joseph Désiré Contandin, dit Fernandel (1903-1971) vit le jour au 73 boulevard Clave, à Marseille. Chacun connaît sa carrière de comédien et de chanteur. Des profondeurs de mon enfance, je le vois sous les traits de Don Camillo, mais surtout dans son rôle dans La vache et le prisonnier, dans lequel il interprétait un Français fuyant les camps de travail allemands en compagnie d’une vache, seulement pour reprendre le train pour l’Allemagne quand il avait passé la frontière française.

Cet homme déambulant patiemment avec une brave vache me rappelait singulièrement, par ailleurs, mon grand-père Jos, lequel avait émigré de Farnham à Iberville à pied en convoyant la laiterie familiale.

Je tiens de source sûre que Fernandel, au faîte de sa gloire, dans les années 50 ou 60, alors que De Gaulle déclarait qu’il était le seul Français aussi célèbre que lui, s’est produit au Cercle Saint-Charles (dit «le Sacre Saint-Charles») à Iberville, hameau québécois des plus humbles.

La juxtaposition de Fernandel et du Sacre-Saint-Charles me laisse pantois.

Je lance donc un appel à tous: quelqu’un peut-il me confirmer que je n’ai pas la berlue?

M’est venu aussi un de mes remords les plus cuisants: Jacques Brel, lors de sa tournée d’adieu, a chanté à Saint-Jean, en 1968. Mon frère m’a signalé le fait. Je ne sais pas où j’en étais dans mes hormones, je n’y suis pas allé.


En regardant le rugby à Montpellier

6 Mai 2011

Vous entrez au Fitzpatrick, où vous avez déjà regardé le Barça étrangler le Real Madrid dans la demi-finale de la Ligue des Champions.

Le pub est sympathique. Pour peu, vous vous croiriez dans le Connemara plutôt qu’à Montpellier. Le serveur, irlandais de toute évidence, vous trouve rigolo quand vous commandez, en français, un Bushmills sans glace. Vous ne savez si c’est à cause de votre accent ou si c’est parce que le Bushmills straight est moins à la mode dans le Languedoc que dans les romans de Jack Higgins.

Dans l’espoir de venir à bout de vos profiterolles, vous vous plantez devant l’écran plat qui diffuse, en muet, le match de rugby qui oppose le Munster au Connaught. Vous êtes natif de Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec. Tout ce que vous savez du rugby, c’est ce que Monsieur Brau, un coopérant français au caractère abrasif mais par ailleurs stimulant, vous a appris en trois séances en septembre 1967 au Séminaire. Alors, forcément, vous interprétez, vous extrapolez, et le plaisir de déduire les règles byzantines de ce sport viril vous rappelle le scrabble, vos quelques malheureuses expériences de «Meurtres et mystères», voire certains tournois arrosés de la Ligue Madelinienne de Tarot.

Mais voilà que vous entendez une flûte. Vous n’avez pas la berlue. Ce jeune homme et cette jeune fille, là, jouent un reel, d’abord de façon hésitante, puis honorablement. Personne n’écoute, pas plus que personne ne regarde le rugby. N’empêche! Le gars, là, sort une guitare accordée en DADGAD et, votre foi, tient son bout en accompagnant la flûtiste. Et un mec rapplique avec un étui de violon.

Ventre Saint-Gris! Ce cousin a une authentique swigne!

Salutations, pintes de Guinness, petit accord et ça repart à trois. La Banshee, et d’autres reels que vous avez déjà massacrés à la mandoline, un joueur de bodhran, le Connaught a perdu et vous allez rater votre train.

Vous rentrez à Sète par le 22h53, le cœur en Irlande.


Entre Georges, Georges et Georges

3 Mai 2011

Je suis à Sète, ville natale de Georges (Brassens). J’y suis déjà passé, brièvement, en 1974. Je me souvenais du cimetière marin, près de la Corniche. Georges B. n’y est pas, mais le lieu est touchant.

Je demeure dans un drôle d’hôtel, avec une courette intérieure et des clefs à peluche, qui me semble tout droit sorti d’un roman de Georges (Simenon). La ville a des allures provinciales. À vingt-trois heures, les volets sont fermés, les passants se font rares. Les petits bateaux de pêche tirent sur leurs amarres dans les canaux. Sous la pluie, les chalutiers dressent leurs ombres massives devant les quais luisants. On se croirait dans Le chien jaune ou Les demoiselles de Concarneau.

J’ai eu une pensée pour un autre Georges (Langford), auprès de qui, aux Îles-de-la-Madeleine, j’ai redécouvert le répertoire de Brassens que j’avais connu enfant, à des heures illicites, quand mon frère aîné bravait le couvre-feu familial. Par une curieux détour du destin, Georges B. était chanté aux Îles dans les années 70.

Entre tous ces Georges, il y a la mer, la poésie et du mystère.