J.D. Salinger : mourir deux fois

30 janvier 2010

L’écrivain J.D. Salinger est mort cette semaine dans sa retraite de Cornish, au New Hampshire. Il avait 91 ans.

Pour la majorité, il restera l’auteur de The catcher in the rye, roman publié en 1951 et vendu depuis à plus de 60 millions d’exemplaires. La narration inimitable de Holden Caulfield, dans un slang américain malheureusement galvaudé par les traductions françaises, a accompagné des générations de lecteurs et marqué la littérature de la deuxième moitié du vingtième siècle.

Le succès du livre a eu pour pendant l’éclipse prématurée de son auteur. Salinger, né à Manhattan d’un père juif et d’une mère irlando-écossaise, a peu publié. Un recueil de nouvelles écrites entre 1948 et 1953, Franny and Zooey en 1961 et Raise high the roof beam, carpenters et Seymour: an introduction en 1963. Ensuite, l’écrivain, fuyant la publicité, se réfugia dans sa propriété du New Hampshire, qu’il fit entourer d’une clôture haute de deux mètres. Les dernières oeuvres, courtes, de même que deux ou trois nouvelles, sont toutes centrées sur la famille Glass, et notamment Seymour Glass, qui se suicida peu après son mariage dans la mémorable nouvelle A perfect day for bananafish.

Comme tous les grands ermites, Salinger devint un mythe, d’autant plus que son œuvre maîtresse, The catcher in the rye, continuait à se vendre à plus de 250,000 exemplaires par année. La question qui hanta et qui hante toujours lecteurs et critiques est évidemment de savoir s’il continuait à travailler et si sa production demeurait d’aussi grande qualité. Selon la rumeur, Salinger a toujours écrit, en prétendant qu’il le faisait strictement pour lui et que ne pas publier lui procurait une grande paix. Toujours selon la légende, des manuscrits seraient enfermés dans un coffre-fort à Cornish. Sa carrière d’écrivain tronquée ne lui aura pas attiré que des éloges. Norman Mailer dira de lui: «Salinger est le plus grand esprit à n’être jamais sorti du collège.»

Parmi les éléments biographiques dignes de mention (ils sont nombreux), je note que Salinger a servi dans l’infanterie pendant la deuxième guerre mondiale. Il a notamment débarqué en Normandie, combattu la dernière grande offensive allemande dans les Ardennes et découvert les camps nazis en Allemagne. À la fin de la guerre, il a été traité pour «fatigue du combat», probablement un euphémisme pour le syndrome de stress post-traumatique. Selon divers exégètes, qui ont beau jeu, cette blessure psychologique ne serait pas étrangère au ton grinçant de l’œuvre et à la misanthropie de l’écrivain.

J’ai lu et relu Salinger, surtout dans la vingtaine. Plus que par Holden Caulfield, j’ai été marqué par la saga de la famille Glass et par l’énigmatique personnage de Seymour. La nouvelle A perfect day for bananafish et sa finale aussi simple que percutante sont gravées dans ma mémoire, de même que le chaud après-midi new-yorkais décrit dans Raise high the roof beam, carpenters.

Je ne sais si J.D. Salinger, ce drôle de pistolet, ce Ducharme avant l’heure, nous a ménagé quelques surprises. Je ne peux m’empêcher de l’espérer, bien que, à sa façon, il nous ait donné une leçon dans l’art d’utiliser, pour mettre en évidence cinq cents pages de prose, cinquante ans de silence.

(pour terminer, cette excellente notice nécrologique dans le New York Times)

http://www.nytimes.com/2010/01/29/books/29salinger.html?ref=obituaries


Interdire les feux de plage sur la Grave aux Iles-de-la-Madeleine: le triomphe de l’infantilisme

29 janvier 2010

Il existe aux Iles-de-la-Madeleine un site extraordinaire, appelé familièrement «la Grave».

Une grave, pour les Acadiens et probablement pour les Français du dix-huitième siècle en général, désignait une plage de galets propice au séchage du poisson, notamment de la morue. Il existe des «graves» ailleurs qu’aux Iles, il y en a une à Natashquan, par exemple.

La Grave, aux Iles, est située à Havre-Aubert, principal lieu de peuplement et chef-lieu de l’archipel jusqu’aux années soixante. Il s’agit d’une anse pierreuse, dessinant un magnifique arc-de-cercle entre les collines des Demoiselles à l’ouest et le Cap Gridley à l’est. Il y subsiste des salines, des magasins de l’en-premier, des premiers temps de la colonie acadienne. Certains bâtiments sont authentiques, d’autres ont été restaurés ou rebâtis selon des critères stricts, le lieu ayant été déclaré «site historique» par le ministère des Affaires Culturelles il y a plus de vingt ans.

La Grave est éminemment touristique. L’été, spécialement lors du festival acadien en août, on y vient de partout aux Iles pour célébrer, dans un lieu qui possède pour tout Madelinot une valeur spéciale, puisque tout un chacun possède au moins un ancêtre qui y a habité. Les beaux soirs, on fait parfois des feux de grève.

Il semblerait qu’un de ces feux ait un certain soir causé des soucis quant à la sécurité des vieux bâtiments historiques, bâtis en bois. Si bien que les élus et les instances gouvernementales mijotent un règlement visant à interdire carrément les feux de grève sur la Grave. Du moins, c’est ma compréhension du problème.

Un site «PROTEGEONS NOTRE DROIT DE FAIRE DE PETITS FEUX DE CAMP SUR LA GRAVE!!!» s’est constitué sur Facebook.

Il semblerait qu’on évalue la possibilité de faire des feux de camp, mais seulement dans des coupoles…

Le problème, comparé aux malheurs qui accablent Haïti ou l’avenir de la planète, est lilliputien.

Néanmoins, il témoigne d’un véritable cancer. Qu’on l’appelle «rectitude politique», « interventionnisme bête», «infantilisme», «psychose de la sécurité», il procède du même principe, omniprésent dans notre paysage politico-socio-culturel: les êtres humains sont irresponsables, il faut les règlementer.

Depuis trois cent ans, les Madelinots font des feux sur la grève. Pourrait-on, au lieu d’enfermer tout le monde dans un règlement bébête (et impossible à appliquer), faire un peu d’information sur les dangers particuliers que présentent les feux de camp près de bâtiments en bois? Est-ce trop simple? Les gens sont-ils trop idiots?

Si ce problème est lilliputien, il témoigne tout de même d’un fâcheux travers de notre monde aseptisé.


Jardin, grenier, dépotoir

12 janvier 2010

L’écrivain, cet animal mystérieux, est un omnivore.

Il se nourrit d’abord des mots des autres. Je ne connais pas d’écrivain qui n’ait été, à plein temps ou à certaines périodes de sa vie, un grand lecteur. Histoires, images, personnages entrent ainsi, pêle-mêle, dans une cuve à fermentation dont sortira, un jour, si l’apprenti possède le courage de se colleter quotidiennement avec le néant, une nouvelle fiction, laquelle nourrira à son tour d’autres accros de l’imaginaire.

J’ai parlé de fermentation. J’aurais pu employer les mots rumination, germination, synthèse, ou mutation. Tout artiste est un recycleur, voire un nécrophage, et je ne fais pas exception à la règle. J’erre depuis quelques semaines dans ce que je pourrais appeler mon jardin, mon grenier, mon dépotoir ou mon charnier. S’y trouvent, en divers états d’achèvement, mes fragments d’histoires. Certaines ont près de cent pages, d’autres se résument à un bref synopsis. Je relis. J’écris, bien sûr. Je rajoute des bouts à l’une ou à l’autre, les «essayant» comme s’il s’agissait de vêtements. Je pratique même des boutures, amalgamant deux mondes, transposant des lieux et des personnages, insufflant une nouvelle vie à un récit moribond.

De ce laboratoire jaillira bientôt, si les astres sont propices, une histoire qui de fraiera un chemin, de version en version, jusqu’à l’état de livre. À quoi reconnaitrai-je, parmi ces plantes plus ou moins vivaces qui encombrent mes serres, celle qui fleurira? Un jour, une histoire ou un projet s’impose, naturellement. Je sais alors que je ne pourrai trouver le repos que lorsque je l’aurai mené à terme.

En attendant, je poursuis mes expériences.