Agrigento, une ville de soixante-mille habitants, est comme beaucoup d’anciennes places fortes juchée sur un piton rocheux, à deux kilomètres de la Méditerranée. Akragas des Grecs l’ayant fondée au sixième siècle avant JC, elle a vécu diverses changements de maîtres, sa célèbre vallée des Temples se développant cent ou deux cent ans plus tard.
Aujourd’hui, Agrigento est un des pôles touristiques les plus importants en Sicile. Sa modestie relative lui permet d’éviter les pièges qui menacent les agglomérations plus importantes, que ce soit sur les plans de la circulation que du surtourisme, de la population ou de la dénaturation culturelle. Ainsi, Agrigento demeure une ville où se déploie une réelle vie locale, alimentée par une volonté de se définir par ses plus célèbres créateurs.
Parmi ceux-ci, impossible de manquer Luigi Pirandello (1867-1936), prix Nobel de littérature 1934, dont les citations tapissent les vitrines des commerces de la rue Atenea, principale artère de la vieille ville. Nouvelliste, romancier, Pirandello a surtout été reconnu comme dramaturge. Ses pièces, notamment Six personnages en quête d’auteur, ont été abondamment jouées depuis soixante ans. Des noms de personnages célèbres sont repris dans la culture locale, de même que l’image stylisée de son célèbre chapeau. Le Teatro Pirandello, sur la piazza qui porte son nom, est une splendeur architecturale mais surtout un théâtre toujours actif.
Quant à son œuvre elle-même, un de ses principaux thèmes est l’incommunicabilité. Six personnages en quête d’auteur met en scènes des personnages qui ne peuvent comprendre et partager un drame commun à cause des images différentes qu’ils en ont. Le tout est à mettre en parallèle avec Pirandello lui-même, dont l’épouse souffrait de troubles psychotiques et a été internée.
L’autre pôle littéraire de la ville est Andrea Camilleri (1925-2019), romancier prolifique et tardif. Il est le plus souvent cité en relation avec ses polars mettant en scène Salvo Montalbano, mais il a écrit d’autres excellents romans. Né à Porto Empedocle, le port au sud-ouest de la ville principale, il a été un phénomène littéraire, autant par le charme de ses personnages et de ses intrigues que par son emploi d’un vocabulaire unique, croisement d’italien et de sicilien local. Ses romans se caractérisent par une certaine truculence, aussi par une volonté de concision.
Dans le paysage littéraire, Pirandello et Camilleri sont aussi éloignés que le sont leurs statues sur la rue Atenea, l’une formelle à l’ouest sur l’élégante piazza Pirandello, l’autre, une statue-chaise sur laquelle tout un chacun peut se faire photographier, à l’est, dans un secteur plus commercial.
Avec ses ruelles escarpées, ses bons restaurants, son identité conservée, aussi ses trésors archélogiques et architecturaux, Agrigento est une ville où on a envie de retourner. Comme quoi mettre en valeur des écrivains, ce n’est pas si fou que ça.