«Desert Star», dernier roman de Michael Connelly: Bosch est-il le seul à être usé?

29 juin 2023

Depuis les années 90, je peux affirmer que j’ai lu presque tous les romans policiers de Michael Connelly. Je termine Desert Star, le trente-septième, avec un sentiment qui m’est familier depuis quelques années: le charme n’opère plus. Les histoires sont toujours impeccables, même inventives, sur le plan procédural. Il manque quelque chose, une dimension tragique, humaine, peut-être simplement artistique.

Maintenant, je lis les aventures de Harry Bosch, Mickey Haller et Renée Ballard en anglais, pour la véracité et la clarté du style, aussi pour éviter les écueils de la traduction française. Au fil des ans, les phrases s’appauvrissent, le texte devient extrêmement direct, concret, exprimant une réalité brute qui reflète probablement l’univers actuel de l’enquête policière aux États-Unis.

Néanmoins, le lecteur-auteur en moi se trouve souvent en mal de ravissement. Quels sont les sentiments des personnages? Quelles sont leurs motivations? Que vivent-ils? Harry Bosch, archétype de l’enquêteur entêté et solitaire, semble devenu unidimensionnel. Pas d’amours, pas de voyages, pas de rêves, seulement cette monomanie de rendre justice et de faire payer les méchants. Everybody counts or nobody counts. Bosch évolue dans un univers clos, qui ne change pas, son Cherokee antique, sa maison à flanc de falaise, son jazz, ses relations minimalistes avec d’anciens collègues. Son seul lien affectif important est sa fille Maddie, qui vit maintenant de son côté sa vie de jeune policière. Ce qui change chez Bosch, c’est sa condition physique, des douleurs au genou, un cancer qui à la fin de Desert Star semble le condamner à une fin prochaine. Bosch est désormais un enquêteur à la retraite, un vieil homme, une sorte de fantôme qui étire une carrière crépusculaire. S’il a combattu au Vietnam, il faut conclure, après la pandémie évoquée dans les derniers romans de la série, qu’il a maintenant soixante-quinze ans.

Les enquêteurs mythiques, comme John Rebus, vieillissent. C’est bien, mais il faut se demander si Michael Connelly qui sort un roman chaque année est en train de vieillir lui aussi. Comment se renouveler? Connelly, qui jouit certainement d’un vaste réseau de collaborateurs, reste à l’affût des nouvelles technologies et les introduit dans ses romans. Ce qui semble manquer, c’est l’épaisseur des personnages. Ils ne sont jamais décrits physiquement, se résument à des traits de comportement prévisibles. Les tueurs en série sont arrêtés ou tués sans qu’on sache ce qui les motivait.

Harry Bosch, comme Wallander à la fin de la série de Mankell, semble réduit à une sorte de coquille animée par des habitudes, des réflexes de limier obsédé. Michael Connelly, un grand écrivain, peut-il encore évoluer, pondre un chef d’œuvre comme Le Poète ou La Blonde en béton?

La réalité est peut-être beaucoup plus simple: l’effet de nouveauté de ses romans étant passé depuis longtemps, nous ne pouvons plus être surpris par un style désormais convenu. Les livres de Michael Connelly lui assurent néanmoins des revenus mirobolants, gonflés par les adaptations télévisées. Conan Doyle a fait revivre Sherlock Holmes. Maurice Leblanc ne s’est jamais débarrassé de l’ombre de Lupin. Mankell, avant de nous quitter prématurément, a réglé ses comptes avec Wallander en le précipitant dans la démence. D’après le site de l’écrivain, Bosch n’est pas vraiment en fin de course. Quelque traitement miraculeux le préservant du trépas, il apparaîtra en novembre en compagnie de son demi-frère Haller dans Resurrection Walk. Sera-t-il le seul à ressusciter?


Une excellente critique de Josée Boileau

19 juin 2023

Paru hier dans Le Journal de Montréal:

Rien de mieux qu’un bon polar pour commencer l’été, et celui que Jean Lemieux a à offrir est un grand cru !

Depuis dix ans maintenant que le prolifique auteur Jean Lemieux confie des enquêtes à son sergent-détective, André Surprenant. Avec Nos meilleurs amis sont les morts, on en est à la septième. Elle est solide, prenante et astucieusement collée à l’actualité.

En fait, loin d’avoir fait le tour de son héros, Lemieux présente un détective et une enquête qui ont encore plus d’étoffe que dans les romans précédents. On a envie à la fois de tourner les pages et de prendre son temps, histoire de ne pas quitter le passionnant récit qui nous est relaté.

L’action se passe en 2012. Au Québec, dans la réalité, cette année est synonyme de Printemps érable, de Commission Charbonneau et de la découverte que l’insoupçonnable détective Ian Davidson était une taupe, prêt à vendre au crime organisé des renseignements sur des centaines d’informateurs de police. Il y avait de quoi ébranler la société.

L’auteur récupère tout cela en y greffant un meurtre curieux et sanglant : un notaire apparemment bien tranquille, retrouvé la gorge tranchée dans son sous-sol du quartier montréalais d’Ahuntsic, un carré rouge à ses côtés. Suivra l’assassinat d’un promoteur lié à la mafia, exécuté selon le même modus operandi.  

Parallèlement, le climat est morose au sein du Service de police de la Ville de Montréal, et pas seulement parce que les policiers sont débordés par les manifestations étudiantes. Le sergent-détective Surprenant s’y sent surveillé, mais par qui ? 

Et ce n’est guère plus reposant à la maison. L’aîné de Geneviève, sa conjointe, s’est lancé à fond dans les grèves étudiantes, à la grande inquiétude de sa mère.

Les nerfs sont donc partout à fleur de peau; pendant ce temps un meurtrier continue à menacer et à agir.

Une année chargée

Lemieux arrive parfaitement à rendre l’effervescence de cette année bien particulière, dont on a oublié à quel point tout était à vif. Éducation, politique, monde syndical, univers de la finance, milieu des promoteurs, services policiers, tout était pointé du doigt. Et le crime organisé s’en donnait à cœur joie.

Il y a déjà là une riche matière, mais l’auteur y ajoute son grain de sel. L’enquête policière qu’il a concoctée débordera en effet l’année 2012 pour conduire au passé, faisant se rejoindre des événements et des personnages a priori disparates. L’histoire est complexe, ce qui nous ravit.

Son héros a par ailleurs le recul que donne la maturité, en mesure dès lors d’évaluer la portée politique et sociale de ce qui secoue le Québec. Ce détective a des convictions, ce que l’on voit rarement dans les polars : c’est à nouveau apprécié.

L’impact du travail d’un détective sur la vie de famille est par ailleurs mis en relief de manière réaliste. Ce n’est pas qu’à Surprenant qu’on s’attache, mais à tout son entourage.

Ce polar a décidément tout pour nous combler !