Printemps meurtriers 2013 – Une entrevue avec Morgane Marvier

25 juillet 2013

Publiée par Morgane Marvier sur le site Carnets noirs, une entrevue audio réalisée à l’extérieur du Théâtre Lac-Brome.


Une vie avec Hemingway – 2 – «The Paris wife» de Paula McLain

5 juillet 2013

Parmi les biographies romancées, on trouve du meilleur et du pire. The Paris wife de Paula McLain, traduit sous un titre, Madame Hemingway, inférieur à l’original, est un roman intéressant, qui donne un aperçu saisissant de ce qu’a pu être Hemingway pour ses proches.

Le livre est écrit au je, le point de vue étant celui de Hadley Richardson, la première épouse d’Hemingway, associée à sa période parisienne. L’auteur s’est astreinte à une recherche minutieuse et a littéralement moulé son récit sur la vie réelle du couple, documentée à partir des fonds disponibles, notamment la correspondance entre les jeunes époux.

Le résultat est, même pour un aficionado comme moi, empreint de vérité. Mieux, le point de vue subjectif permet de pénétrer à l’intérieur de la psyché troublée de l’écrivain, son rapport aux femmes, à sa famille, à la mort, à l’écriture. Avec minutie, on n’assiste aux fréquentations, aux fiançailles, au mariage, au déménagement à Paris, aux années de vaches maigres, aux premiers essais littéraires du jeune reporter, aux tensions grandissantes dans le couple, au recours de plus en plus fréquent à l’alcool, enfin à l’instauration de cet étrange ménage à trois entre Hemingway, Hadley et Pauline Pfeiffer, qui allait devenir sa deuxième femme, celle de Key West.

Quand on sait ce qui est advenu d’Hemingway après 1928, c’est avec tristesse que l’on assiste à l’éclatement de son premier mariage. Il publiera bien L’adieu aux armes en 1929, mais la meilleure partie de sa production et sa contribution la plus importante à la littérature datent des années parisiennes passées avec Hadley et son premier fils Jack dit Bumby. Par la suite, il devait devenir un pochard plus ou moins génial, se figer dans une caricature de lui-même, se prendre dans la toile de son mythe d’écrivain à succès.

Il dira un jour, dans un élan de nostalgie ou un éclair de lucidité: «J’aurais dû mourir avant d’aimer une autre femme qu’Hadley».

En avril 1961, alors qu’il travaillait à ce qui allait devenir, de façon posthume, Paris est une fête, Ernest Hemingway passa un rare, et dernier, appel téléphonique à Hadley. «Tu es partout dans ce livre», lui dit-il. Il allait se tuer quelques semaines plus tard. Certains penseront que, déprimé, il n’avait pu tolérer de revivre, par l’écriture, ses années de jeunesse.


Une vie avec Hemingway – 1 – L’adieu aux armes

1 juillet 2013

L’été de mes quinze ans, j’ai découvert, entre autres choses, les grands romans.

Depuis l’enfance, je dévorais des livres de toutes sortes, romans d’aventure, policiers, biographies de musiciens, histoires de guerre, sans entrer en contact direct avec ce qui constituait le corpus des «auteurs de référence», les Russes, Tchekhov, Dostoievski, Tolstoi, les Américains, ceux de la «génération perdue» plus Steinbeck et Faulkner, et surtout les Français, de Ronsard aux Existentialistes en passant par les Lumières, les feuilletonnistes du XIXe, Gide et Saint-Exupéry.

De ces passages obligés, les auteurs québécois, encore «canadiens», formaient la portion congrue, tolérée, Laure Conan, Ringuet, Gabrielle Roy, Hubert Aquin, Victor-Lévy Beaulieu, Anne Hébert et, immanquable dans la mêlée, ce personnage, le docteur Ferron.

Cet été 69, marqué par la séparation des Beatles et le festival de Woodstock, je me procurai, coup sur coup, à l’aide d’une allocation spéciale de mes parents, qui ne me refusaient rien quand il s’agissait de livres, La Chartreuse de Parme, de Stendhal, et L’adieu aux armes, d’Ernest Hemingway. Du premier auteur, je reparlerai certainement un jour. Les deux romans, lus en quelques jours, l’un à la suite de l’autre, m’ont troublé. Je quittais, en même temps que la prime adolescence, l’univers de la littérature de genre pour pénétrer dans un autre monde, où les livres étaient plus dérangeants que divertissants.

L’adieu aux armes, l’histoire d’amour d’un jeune Américain engagé comme ambulancier sur le front italien pendant la Première Guerre et d’une infirmière britannique, demeure à ce jour un de mes romans préférés. Je l’ai lu quatre ou cinq fois, en anglais ou en français. S’y mêlent tous les ingrédients de la fiction romantique: la guerre, la mort, l’amour entre deux jeunes gens de nationalités différentes, en plus de cet élément essentiel, le ton, la signature Hemingway.

De cette première lecture est née ma fascination pour l’auteur, qui dure depuis 44 ans. Il n’est pas exagéré d’avancer qu’Ernest Hemingway, aujourd’hui hors de vogue, a marqué un demi-siècle de littérature américaine ou mondiale. Sa prose incisive, dénudée, répétitive, allusive a servi de modèle à des générations d’écrivains. Ses romans, encore plus ses nouvelles, reposent sur une structure arachnéenne. Est plus important ce qui est tu que ce qui est dit, ce qui arrive que ce qui est décrit. Il est l’inventeur de la célèbre théorie de l’iceberg, dont à peine 10% émerge de la surface. Le lecteur doit sentir l’iceberg sans qu’on lui montre.

Ma fascination pour Hemingway est d’autant plus prenante que sa notoriété repose sur un double paradoxe:

1) l’homme est aussi imbuvable que l’écrivain est important.

2) la qualité de sa production a décliné, plus ou moins brutalement selon les analystes, dès qu’il a atteint la trentaine. Il allait vivre, célébre, à Key West, à Cuba, en Idaho, sans compter les voyages en Afrique et en Europe, jusqu’à 61 ans, âge auquel il a imité son père en se tirant une balle dans la tête.

Hemingway, alcoolique, violent, narcissique, s’est marié quatre fois, le plus souvent après des épisodes de double vie plus ou moins déclarés. Il était mythomane, rancunier, peut-être bipolaire selon l’étiquette actuelle. Il a trahi ses conjointes, ses mentors, ses amis, et a terminé sa vie dans une triste paranoïa. Blessé pendant la première guerre, il souffrait probablement de syndrome de stress post-traumatique, avait bu tout sa vie de façon extravagante, avait subi plusieurs commotions cérébrales, et avait embarrassé l’armée américaine en s’improvisant officier lors de la libération de Paris.

D’abord journaliste, cet homme, qui se levait chaque matin pour travailler debout à un écritoire, posément, obstinément, un peu comme Flaubert, avait écrit, parmi des romans parfois ordinaires, de grands livres, Le soleil se lève aussi, L’Adieu aux armes, déjà cité, Le vieil homme et la mer, et cette dernière merveille, Paris est une fête, en plus des nouvelles, qui sont probablement ce qu’il a réussi de mieux.

Cet homme difficile, insupportable, conservateur, était aussi fragile, sujet aux cauchemars. Ce géant, au physique comme au moral, ne pouvait dormir dans le noir.

De ma fréquentation avec l’oeuvre est venue ma fascination pour l’homme et sa légende. J’ai lu de multiples biographies, relu ses livres les plus achevés, cherché à comprendre comment ça marchait. Aussi, comment cet homme issu de la bourgeoisie du Mid-West était-il devenu la première véritable star littéraire américaine?

Avec le temps, sa notoriété s’étiole. Il est maintenant un auteur de la première moitié du vingtième siècle, qui doit autant sa réputation à ses excès qu’à son oeuvre. A posteriori, sa vie de débutant fauché à Paris, ses parties de pêche à Cuba, ses safaris en Afrique, son rôle de correspondant de guerre, font partie d’un univers révolu, romantique, hollywoodien.

Ses enfants, ses petit-enfants, différents amis, sa dernière épouse ont écrit des livres relatant leur vie avec Papa, cet intéressant avatar d’Hemingway. Aucun de ces livres n’approche, par la charge émotionnelle, la justesse du portrait psychologique, la fidélité aux faits, le roman de Paula McLean, The Paris wife, traduit en français sous le titre Madame Hemingway.