Le chant du cygne de Wallander

5 janvier 2011

J’ai terminé hier la lecture de L’homme inquiet de Henning Mankell.

La couverture, sans aucune équivoque, annonçait: «La dernière enquête de Wallander».

Kurt Wallander, l’enquêteur d’Ystadt, y sort effectivement de scène, au dénouement d’une histoire d’espionnage dans laquelle, à sa façon coutumière, il se trouve entraîné malgré lui, en raison de nouveaux liens familiaux.

Dans ce gros roman de 550 pages, Mankell, qui depuis quelques années n’a pas caché que le personnage de Wallander lui pesait, mène son héros, non pas au bout mais au début de la nuit. Je ne vendrai pas ici la mèche. Il suffira de dire que le grand auteur suédois, avec une grande tendresse et beaucoup de soin, met son personnage au rancart, dans un chant du cygne somptueux, où interviennent, en de multiples caméos, les hommes et les femmes qui ont meublé sa vie, Mona, Linda, Baiba, Martinsson, les fantômes du père peintre paysager au caractère impossible, de la mère décédée subitement, de Rydberg et de Sven l’éleveur de chevaux.

Dans sa dernière enquête, menée avec une opiniâtreté d’autant plus méritoire qu’il est diminué physiquement et mentalement, Wallander est fidèle à lui-même: bourru, honnête, torturé et brouillon. Dans cette série, Mankell, homme d’idées et de convictions, a tracé le portrait d’une Suède, et d’un monde occidental, troublés, en mutation et profondément inquiets. Aucun de ces romans n’est irremplaçable par la complexité de l’intrigue ou la tension dramatique. Wallander entrera finalement au panthéon des enquêteurs sous les traits d’un ours à la fois brillant et pataud, dépourvu de grâce mais profondément humain.

Les relations entre les auteurs et leurs têtes d’affiche sont complexes. Doyle a tué puis ressucité Holmes. Leblanc s’est débarrassé de Lupin. Plus près de nous, Rankin vient de larguer Rebus.

Mankell, à 62 ans, a tassé Wallander, ce qui lui permettra de poursuivre une œuvre déjà très variée. Il n’est pas dit que Wallander n’aura pas le dernier mot. L’auteur peut éliminer un personnage. Cela n’empêchera pas celui-ci de lui survivre dans le cœur de ses lecteurs.