J.D. Salinger : mourir deux fois

L’écrivain J.D. Salinger est mort cette semaine dans sa retraite de Cornish, au New Hampshire. Il avait 91 ans.

Pour la majorité, il restera l’auteur de The catcher in the rye, roman publié en 1951 et vendu depuis à plus de 60 millions d’exemplaires. La narration inimitable de Holden Caulfield, dans un slang américain malheureusement galvaudé par les traductions françaises, a accompagné des générations de lecteurs et marqué la littérature de la deuxième moitié du vingtième siècle.

Le succès du livre a eu pour pendant l’éclipse prématurée de son auteur. Salinger, né à Manhattan d’un père juif et d’une mère irlando-écossaise, a peu publié. Un recueil de nouvelles écrites entre 1948 et 1953, Franny and Zooey en 1961 et Raise high the roof beam, carpenters et Seymour: an introduction en 1963. Ensuite, l’écrivain, fuyant la publicité, se réfugia dans sa propriété du New Hampshire, qu’il fit entourer d’une clôture haute de deux mètres. Les dernières oeuvres, courtes, de même que deux ou trois nouvelles, sont toutes centrées sur la famille Glass, et notamment Seymour Glass, qui se suicida peu après son mariage dans la mémorable nouvelle A perfect day for bananafish.

Comme tous les grands ermites, Salinger devint un mythe, d’autant plus que son œuvre maîtresse, The catcher in the rye, continuait à se vendre à plus de 250,000 exemplaires par année. La question qui hanta et qui hante toujours lecteurs et critiques est évidemment de savoir s’il continuait à travailler et si sa production demeurait d’aussi grande qualité. Selon la rumeur, Salinger a toujours écrit, en prétendant qu’il le faisait strictement pour lui et que ne pas publier lui procurait une grande paix. Toujours selon la légende, des manuscrits seraient enfermés dans un coffre-fort à Cornish. Sa carrière d’écrivain tronquée ne lui aura pas attiré que des éloges. Norman Mailer dira de lui: «Salinger est le plus grand esprit à n’être jamais sorti du collège.»

Parmi les éléments biographiques dignes de mention (ils sont nombreux), je note que Salinger a servi dans l’infanterie pendant la deuxième guerre mondiale. Il a notamment débarqué en Normandie, combattu la dernière grande offensive allemande dans les Ardennes et découvert les camps nazis en Allemagne. À la fin de la guerre, il a été traité pour «fatigue du combat», probablement un euphémisme pour le syndrome de stress post-traumatique. Selon divers exégètes, qui ont beau jeu, cette blessure psychologique ne serait pas étrangère au ton grinçant de l’œuvre et à la misanthropie de l’écrivain.

J’ai lu et relu Salinger, surtout dans la vingtaine. Plus que par Holden Caulfield, j’ai été marqué par la saga de la famille Glass et par l’énigmatique personnage de Seymour. La nouvelle A perfect day for bananafish et sa finale aussi simple que percutante sont gravées dans ma mémoire, de même que le chaud après-midi new-yorkais décrit dans Raise high the roof beam, carpenters.

Je ne sais si J.D. Salinger, ce drôle de pistolet, ce Ducharme avant l’heure, nous a ménagé quelques surprises. Je ne peux m’empêcher de l’espérer, bien que, à sa façon, il nous ait donné une leçon dans l’art d’utiliser, pour mettre en évidence cinq cents pages de prose, cinquante ans de silence.

(pour terminer, cette excellente notice nécrologique dans le New York Times)

http://www.nytimes.com/2010/01/29/books/29salinger.html?ref=obituaries

2 Responses to J.D. Salinger : mourir deux fois

  1. Geneviève Thibault dit :

    Un beau texte. Ce jour là, j’ai senti le besoin de relire A perfect day for bananafish, que nous serons plusieurs à ne jamais oublier…

    • jeanlemieux dit :

      Je crois que je le relirai sous peu. Maintenant, que retiendra l’histoire d’un écrivain comme Salinger? Je me demande parfois si la littérature a encore un «avenir», si l’on relira dans cinquante ou cent-cinquante ans ce qui s’écrira maintenant.
      Certains auteurs, sûrement, mais lesquels?

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