Dans mon dernier post, désarçonné par la vision d’un Grand-Papa Bi martelant mécaniquement son 4/4 au Brazen Head à Dublin, j’ai émis l’hypothèse que les funambules irandais de la double-croche avaient émigré en Amérique ou à Dubai.
Honte à moi.
Ils ne sont pas à Dubai. Je les ai retrouvés à Galway, sur la côte ouest, où sévit un vent à écorner les bœufs. Plus précisément au Tig Coeli, pub à la pimpante et écarlate dévanture, bondé de touristes mais surtout de Galwegians, où chaque soir, sous des incarnations diverses, ils m’enchantent de leurs gigues déferlantes.
J’ai entendu, hier soir, un joueur de mandoline anonyme, les cheveux noués sur la nuque, d’une virtuosité consommée. Les ensembles ne sont jamais les mêmes, mais, de toute évidence, ces musiciens se connaissent et se fréquentent, pour la plupart, depuis des années. D’un hochement de tête, ils indiquent un changement de pièce ou de tempo. Cherchez les fausses notes: elles sont rares.
L’idée est de jouer à l’unisson, juste, vite s’il le faut, en laissant toute la place à son voisin. Pas de compétition, pas d’esbrouffe, la musique seulement qui emplit un espace clos, saturé de conversations et de rires. Entre les pièces, les musiciens prennent une gorgée de bière, rient, conversent comme si rien n’était, reprennent leur souffle avant de se joindre à un nouveau morceau, qu’un des leurs aura le plus souvent débuté rêveusement, le soumettant de façon tacite au groupe.
Ces hommes et ces femmes de tous âges, de tout acabit, de divers métiers, ont atteint des niveaux de maîtrise impressionnants, en jouant pour le plaisir. Ils consacreront une vie à maîtriser leur instrument, pour voir leur photo, peut-être, orner le pub qu’ils ont animé pendant des décennies.