Johnny Walker, chauffeur de taxi

L’homme fait son entrée dans le lobby de l’hôtel. Cheveux blancs coupés à la militaire, la démarche chaloupée par des genoux en guillemets, il s’informe de sa cargaison.

Elle consiste en Fille, Fiston et moi-même, plus nos valises. Destination : l’aéroport de Dublin.

Le vaisseau est une Toyota d’un âge aussi vénérable que son propriétaire. L’homme, affable et  attentionné, débarrasse le siège du passager, enfourne notre gréement dans le coffre et s’installe derrière le volant. Le dossier de son siège est doté d’une sorte d’hybride entre un boulier et un rideau de bambou. Le truc m’apparaît extrêmement inconfortable, mais ne semble pas incommoder le chauffeur, qui entreprend sur le champ de nous divertir de sa faconde.

My name is Johnny Walker, but I don’t drink whiskey.

L’homme embraie de sa main gauche, jette un œil à sa droite et glisse adroitement son vaisseau dans la traîtresse circulation des abords de Croke Park. Dans les minutes qui suivront, nous aurons l’occasion d’apprendre – entre autres choses – que :

– Johnny est né à Dublin, près de St-Stephen’s Green, et est âgé de 73 ans.

– qu’il a perdu son épouse (I still miss her so much) quinze ans plus tôt d’un cancer du sein

– qu’il a été arbitre de football

– qu’il ne croit pas que the lads se qualifieront pour le Mundial

– qu’il a été une fois en Amérique, à New York, mais qu’il a conduit jusqu’à Toronto, nice town

– qu’il amasse des fonds pour doter un hôpital pour enfants d’un appareil de résonance magnétique

– que Dublin n’est pas sûre et que Fille, surtout, ne doit pas se promener seule dans certains quartiers

Johnny Walker ne se contente pas de parler et de conduire. Il chante, et très bien. Nous avons droit à des extraits de Cockels and Mussels, La Mer de Trenet, When irish eyes are smiling, jusqu’à une traduction de Non je ne regrette rien de Piaf (That woman had quite a difficult life) (not like me : I had a wonderful life)

Le miracle est que nous semblons malgré tout nous acheminer vers notre destination. Avant de nous laisser, Johnny Walker aura eu l’occasion de nous interroger sur notre âge, notre famille, nos occupations, la situation politique au Québec, en plus de nous prodiguer mille conseils au sujet des autos de location et de la circulation sur la côte ouest.

Il aura aussi eu le temps de nous répéter sa standard line : «My name is Johnny Walker, but I don’t drink whiskey.»

L’homme, par contre, nous avoue qu’il ne craint pas de descendre une pinte de black stuff.

Les Anglais, malgré leur nombre, n’avaient aucune chance contre les Irlandais.

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