Journal d’Argentine 3 – Les trois enfants du volcan et Green Boots

Le volcan Llullaillaco («eau menteuse» en quechua), dans la Cordillère des Andes, est situé à l’extrémité ouest de la province de Salta, constituant ainsi une des balises de la frontière avec le Chili. À 6723 mètres au dessus du niveau de la mer, la montagne, couverte de neige la majeure partie de l’année, est le 7e plus haut sommet des Amériques, la palme revenant à l’Aconcagua (6962 mètres).

La dernière éruption du volcan date de 1877.

Le Llullaillaco est aussi le site archéologique le plus élevé au monde. En 1999, une expédition internationale y a patiemment mis à jour les momies de deux enfants et d’une adolescente incas, enterrés aux environs de l’an 1500, soit avant la conquête de Francisco Pizarro. Ces trois momies, remarquablement conservées par le froid et l’altitude, sont exposées au MAAM (Museo de Archeologia de Alta Montana), sur la place centrale de Salta, dite du 9 juillet.

Le sacrifice humain ou la cérémonie religieuse, selon le point de vue, faisait partie du rite du capacocha. Pour marquer la mort d’un dirigeant ou s’attirer la grâce des dieux pour des questions vitales, guerres ou famines, le Grand Inca convoquait, de tous les coins d’un empire qui s’étendait de la Colombie à l’Argentine (possiblement le plus grand empire du début du seizième siècle), des filles ou des garçons de familles nobles, choisis pour leur perfection physique. Ces enfants faisaient le long voyage jusqu’à Cuzco, au Pérou, capitale inca. Ensemble, ils s’adonnaient publiquement à divers rites de purification. À la fin, les enfants faisaient deux fois le tour de la place centrale de Cuzco, puis retournaient chacun d’où ils étaient venus, dans des cités distantes où ils étaient vénérés.

Arrivait un moment où le Grand Inca choisissait de les faire enterrer sur différentes montagnes sacrées, dont le Llullaillaco. Accompagnés d’adultes, au son de musique, sous l’effet de différentes drogues, les enfants gravissaient ces sommets difficiles, étaient parés de leurs plus beaux vêtements, entourés d’objets précieux, endormis par la chicha, un alcool de maïs, puis insérés vivants dans des niches de pierre. Selon la tradition transmise, ils ne souffraient pas et s’endormaient pour l’éternité sous l’effet du froid, de l’alcool et du manque d’oxygène. Il est permis d’en douter. Les croyances incas étaient que ces enfants vivaient éternellement dans la montagne, cette dernière étant assimilée à une divinité veillant sur leur peuple, leur dispensant, par le ruissellement des neiges, l’eau nécessaire à leur survie dans ces espaces semi-désertiques.

Une quatrième momie, retrouvée près de Mendoza, est une adolescente au nez absent dont le visage est figé dans un cri d’épouvante.

La civilisation des Incas s’est effondrée brusquement, après 1530, suite à l’arrivée de l’espagnol Pizarro. Le conquistador ne faisait pas dans la dentelle. Après avoir promis au Grand Inca Atahualpa de lui laisser la vie sauve s’il lui donnait son trésor (six tonnes d’or), il le fit froidement exécuter. Par la suite, une politique d’asservissement et de nettoyage ethnique, combinée aux épidémies apportées par les Européens, provoqua la mort d’environ 10 millions d’Indiens en Amérique du Sud.

Dans leurs cubes de verre où règne une atmosphère soigneusement contrôlée, toujours parés de leurs vêtements colorés, los ninos del Llullaillaco n’en sont que plus pitoyables: leur mort a été vaine, leurs dieux n’ont pas empêché l’effondrement de leur empire. Le LLullaillaco était vraiment une «eau menteuse».

J’ai pensé à ce réflexe atavique des humains: atteindre le sommet d’une montagne pour se rapprocher des dieux. Forts de nos conceptions rationnelles, nous sommes portés à condamner les rites «barbares» des Incas. J’ai retrouvé le soleil de la place du 9 juillet en pensant à ces alpinistes morts gelés ou asphyxiés dans l’Himalaya, en particulier au célèbre Green boots, sur l’Everest, dont les photos ont fait le tour du monde.

Chaque civilisation possède ses rites.

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