Le charme sobre d’Indridason

11 avril 2024

J’ai lu Le mur des silences, le quatrième tome de la série Konrad d’Arnaldur Indridason. Ce n’était pas mon premier de ce maître islandais, loin de là. Peut-être le cinquième ou le sixième, je ne les compte pas. Tout auteur est d’abord un lecteur, le dernier nourrissant le premier. Aussi je ne lis pas un polar sans m’intéresser, c’est inné, au style et à la manière.

Le charme et la popularité du polar scandinave tiennent évidemment à la singularité des paysages, des intrigues et des personnages. Je soupçonne qu’ils relèvent aussi de particularités de la langue, en particulier cet usage omniprésent du tutoiement, des prénoms, aussi de ce que j’appellerai la brusquerie du dialogue.

Ainsi chez Indridason, les personnages ne portent l’écrasante majorité du temps qu’un simple prénom. Ils ne sont pas décrits physiquement, sauf de façon sommaire, par un détail qui sera repris ou exploité dans l’action. Par exemple, Luther est boiteux, mais recevra aussi quelques coups de pieds sur sa jambe malade.

Konrad, le policier à la retraite en vedette dans la série, est assez monolithique, fumeur, buveur, un peu coureur, mais surtout obstiné. Son appartement semble plutôt sordide. Ses relations avec ses proches sont presque toujours conflictuelles. Au total, c’est un Wallander encore plus renfrogné. L’écriture est chorale, à la troisième personne, portée par ces squelettes imprécis synthétisés dans des prénoms. Les chapitres sont courts, égaux. L’intrigue dans le cas présent est double ou triple, les différentes branches se rejoignant, dans le style chalet central de station de ski, dans une résolution tardive.

Les relations entre les personnages ou leur passé font parfois l’objet de développements, toujours dans un style direct et synthétique. Pas d’images, pas de métaphores, des faits, des dialogues, de l’action.

Entre les scènes, Konrad boit un café ou une bière, fume un cigarillo, rêve peu, ne s’évade pas comme Bosch dans une pièce de jazz, comme Brunetti dans un livre ancien. On passe d’une scène d’action à une autre scène d’action, sans entre-deux, comme dans les films de bandit qu’évoquait Sylvain Lelièvre. Des rappels escortent le lecteur dans le passé proche et lointain.

Ainsi l’on est inexorablement entraîné d’une page à l’autre, sans jamais ou presque avoir l’impression de perdre son temps. Dans mon souvenir, ses premiers romans comme La Cité des jarres ou La Femme en vert étaient plus «fleuris». Je me trompe peut-être.

Tous ces facteurs font qu’Indridason connaît un succès si retentissant. Ses romans sont tout simplement efficaces, en plus de dégager un charme sobre, solide.


Anne Hébert: l’écriture comme religion ou grand voyage

9 février 2024

Je sors de la superbe biographie que Marie-Andrée Lamontagne a consacré à celle qui fut, à peu près de l’avis de tous, la plus grande écrivaine québécoise du vingtième siècle: Anne Hébert, vivre pour écrire.

J’y trouve, dans une lettre écrite en 1965 à sa tante religieuse qui lui reprochait de la négliger quelque peu: « Mais j’aimerais bien que tu comprennes que mon travail est excessivement sérieux et grave. Cela nécessite une grande concentration d’esprit et un don total de tous les instants. Je suis rentrée en littérature comme on rentre en religion.»

Anne Hébert commençait alors à élaborer son roman le plus connu, Kamouraska, qui devait asseoir sa réputation comme romancière. Elle a alors quarante-neuf ans, vit seule à Paris où elle subsiste difficilement des droits de ses livres, des quelques prix que ceux-ci lui rapportent de loin en loin, de bourses, aussi de l’aide familiale. Anne Hébert a eu une existence partagée entre deux pôles: une solitude consacrée à l’élaboration d’une œuvre rare et originale, une reconnaissance tardive, alors qu’elle a plus de soixante ans, notamment grâce au prix Femina remporté en 1982 avec Les Fous de Bassan.

D’abord poète, avec la parution en 1953 du Tombeau des rois, elle a connu la consécration comme romancière. Ses romans étaient portés par un souffle unique, une symbolique omniprésente, des univers dépouillés où des êtres singuliers étaient emportés par des passions profondes. Cette antithèse entre l’emportement et le dépouillement, entre la possession et la déréliction, était à la fois le reflet de l’écrivaine même et de son rapport à son pays.

Anne Hébert était l’aînée d’une famille issue de la bourgeoisie canadienne-française. Sa mère était une Taché du côté paternel et une Juchereau-Duchesnay du côté maternel. Son père, Maurice Hébert, avait d’illustres ancêtres acadiens, dont peut-être ceux-là même qui devaient inspirer à Longfellow les personnages d’Évangéline et de Gabriel. Le père était aussi un critique estimé et un poète ordinaire, qui s’est totalement investi dans l’aventure littéraire de sa fille. La famille vivait à Québec, le plus longtemps dans la maison de l’avenue du Parc qui porte aujourd’hui une plaque commémorant l’écrivaine, mais possédait aussi une maison de campagne à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, près du manoir Juchereau-Duchesnay. Enfin, par ces derniers, Anne Hébert était aussi la petite-cousine de Hector de Saint-Denys Garneau (1912-1943) dont Regards et jeux dans l’espace constitue toujours un jalon dans la poésie québécoise.

À Québec ou à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, Anne Hébert a vécu une enfance protégée, nourrie par la lecture, mais aussi par cette ombre: le père, tuberculeux, craint de contaminer ses proches. Il fait des séjours en sanatorium. La jeune fille, mince et fragile, grandit dans un cocon familial où plane la menace de la maladie ou de la catastrophe. Dans la jeune vingtaine, un médecin croit, à tort, qu’elle a été contaminée. Anne Hébert, au lieu de vivre sa vie de jeune femme, est mise au repos et cloisonnée dans la maison familiale pendant cinq ans. Quand le faux diagnostic apparaît, elle a vingt-huit ans, pas de diplôme, seulement des poèmes et de courts textes parus dans de petites publications.

Cet enfermement sera paradoxalement le terreau où germera sa poétique. Des années plus tard, Anne obtiendra un petit travail à l’ONF, fera paraître ses premiers livres à compte d’auteure, enfin gagnera une bourse pour aller vivre un an à Paris. Elle a de fidèles et brillantes amies, fréquente artistes et écrivains, aura tardivement un amant, ne se mariera pas, n’aura pas d’enfants, mais consacrera essentiellement sa vie à cette tâche monacale: imaginer, élaborer, écrire, corriger une douzaine de livres absolument originaux.

Je conserve chez moi peu de livres, à peine de quoi garnir une petite bibliothèque dont deux tablettes soutiennent les essentiels, ceux que je relis, que j’admire, qui m’ont marqué. Parmi ceux-ci figurent Kamouraska mais aussi, surtout, les poèmes d’Anne Hébert. J’ai toujours pensé que Le Tombeau des rois était l’une des œuvres fondatrices de la littérature québécoise. J’y retourne souvent. Les deux premiers Surprenant portent en exergue des strophes issues du recueil.

Il y a certainement quelqu’un / Qui m’a tuée / Puis s’en est allé / Sur la pointe des pieds / Sans rompre sa danse parfaite

On étancha le marais, l’oiseau de proie fut capturé, toutes ailes déployées, le plus doux d’entre nous assura qu’il le ferait dormir en croix sur la porte

Enfin, le titre même du cinquième Surprenant, Les Clefs du silence, est tiré de ces vers:

La rivière a repris les îles que j’aimais / Les clefs du silence sont perdues

L’analogie avec la religion peut être exagérée, obsolète ou trompeuse. Anne Hébert n’était pas que cette femme solitaire écrivant à la main dans un petit appartement parisien. C’était aussi un être lumineux qui aimait vivre, s’amuser, écouter de la musique et nager dans des rivières. Il reste qu’elle est restée pour moi une sorte d’icône incompréhensible, l’écrivaine totale, aussi possédée par son art (ou sa vocation?) que ces religieux qui, dans le Québec ancien, quittaient leur famille pour enseigner ou évangéliser. Mieux, elle ressemblait peut-être davantage aux aventuriers ou aux coureurs des bois, ces Alexis Labranche ou ces Survenant qui laissaient leur village pour explorer le vaste monde.


La série Surprenant – Mise à jour décembre 2023

18 décembre 2023

La télésérie «Détective Surprenant – La fille aux yeux de pierre», disponible sur Club Illico depuis onze jours, suscite beaucoup d’intérêt. Je mets donc à jour cette publication de l’an dernier au sujet des sept romans mettant en scène le sergent-détective André Surprenant et sa collègue Geneviève Savoie. Un huitième est en cours d’écriture. Trois autres enquêtes ont été publiées sous forme de nouvelles.

Tous les romans sont publiés chez Québec Amérique.

Ces livres peuvent se lire de façon indépendante, mais s’inscrivent néanmoins dans une suite narrative cohérente.

Produite par Version 10, scénarisée par Marie-Ève Bourassa et Maureen Martineau, réalisée par Yannick Savard, la première saison de «Détective Surprenant» est largement basée sur le premier roman, On finit toujours par payer.

On finit toujours par payer (La courte échelle, 2003, Nomades, 2016)

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Lieu et temps de la narration: Îles-de-la-Madeleine, automne 2001

Intrigue: Rosalie Richard, 19 ans, est retrouvée en bas d’une falaise. André Surprenant, sergent-enquêteur à la SQ, s’impose devant un enquêteur venu du continent et parvient à élucider une série de crimes dont l’auteur est inattendu.

Situation personnelle de Surprenant: marié, père de deux adolescents, attiré par une jeune coéquipière, Geneviève Savoie.

Prix Arthur-Ellis et France-Québec Philippe-Rossillon. Le livre a été adapté au cinéma par Gabriel Pelletier sous le titre La peur de l’eau.

Le mort du chemin des Arsène (La courte échelle, 2009, Nomades, 2016)

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Lieu et temps de la narration: Îles-de-la-Madeleine, été 2002.

Intrigue: Romain Leblanc, un violoneux réputé originaire de Fatima, est retrouvé mort dans son salon, après avoir fêté une partie de la nuit chez un voisin. Suicide? Meurtre? Le musicien au caractère abrasif s’était fait bien des ennemis.

Situation personnelle de Surprenant: divorcé, moral fragile, plus ou moins en relation avec Geneviève Savoie, s’apprête à quitter les Îles pour Québec.

Prix Arthur-Ellis, prix de création littéraire de la ville de Québec et du Salon du livre de Québec et prix des abonnés du réseau des bibliothèques de Québec.

L’homme du jeudi (La courte échelle, 2012, Nomades, 2016)

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Lieu et temps de la narration: Québec, 2003-2005.

Intrigue: Sergent-enquêteur à Lac-Beauport, André Surprenant élucide, à la suite d’une piste inattendue, un délit de fuite mortel survenu un an plus tôt à Sainte-Catherine-de-la Jacques-Cartier.

Situation personnelle de Surprenant: Vit avec Geneviève Savoie à Beauport. Sur la piste de son père disparu qui aurait été vu en Californie.

Finaliste au prix Arthur-Ellis 2012

Le mauvais côté des choses (Québec Amérique, 2015)

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Lieu et temps de la narration: Montréal, automne 2008.

Intrigue: Nouvellement transféré à l’escouade des crimes majeurs du SPVM, Surprenant est plongé dans une série de meurtres portant la griffe d’un psychopathe, mais peut-être aussi lié au crime organisé montréalais.

Situation personnelle de Surprenant: Vient d’hériter de la maison et du Steinway de son oncle Roger, vit toujours avec Geneviève, ses enfants Maude et Félix sont de jeunes adultes munis de conjoints, le père aurait de nouveau été localisé à Los Angeles.

Finaliste au Prix Arthur-Ellis 2015

Les Clefs du silence (Québec Amérique 2017)

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Lieu et temps de la narration: Montréal, juillet 2009.

Intrigue: Alors que le Festival de jazz bat son plein à Montréal, Surprenant est confronté au meurtre d’un infectiologue dans une clinique du CHUM. La scène de crime comporte des éléments troublants: une allusion à un groupe terroriste, un ordinateur trafiqué, un dernier patient introuvable. Le sergent-enquêteur de l’escouade des crimes majeurs sera bientôt aux prises avec des adversaires aussi occultes que puissants.

Situation personnelle de Surprenant: sa compagne Geneviève a des soucis de santé, sa fille Maude est sur le point d’accoucher, son père corrige le manuscrit de son autobiographie au bord de la rivière à Barbotte, la résurgence d’un fantôme du passé mettra son couple à rude épreuve.

Finaliste au prix de la Canadian Crime Writers, 2018.

Les Demoiselles de Havre-Aubert (2020)

Lieu et temps de la narration: Montréal, Îles-de-la-Madeleine, août 2009

Intrigue: Un soir d’août, le gérant d’une boutique de prêt sur gages de Montréal est abattu d’une balle dans la tête. André Surprenant, sergent-détective aux crimes majeurs du SPVM, est appelé sur les lieux bien qu’il soit en vacances. Pourquoi? La victime est née aux Îles-de-la-Madeleine et Surprenant s’apprête justement à s’y rendre avec sa famille pour jouir de quelques semaines de repos dans l’archipel où sa carrière d’enquêteur a pris son envol. Au grand dam de sa blonde Geneviève, il y est plongé dans une affaire complexe, où les cadavres s’accumulent.

Situation personnelle de Surprenant: Idem à celle du livre précédent, appelé à travailler aux Îles alors qu’il doit y être en vacances.

Finaliste au prix de la Canadian Crime Writers 2021.

Nos meilleurs amis sont les morts (avril 2023)

Lieu et temps de la narration: Montréal-Mauricie, mai 2012

Intrigue: Montréal, 1er mai 2012. Maître Jean-Claude Ladouceur, notaire, est retrouvé égorgé dans le sous-sol de sa maison d’Ahuntsic. À côté du cadavre, un carré de tissu rouge. Le sergent-détective André Surprenant est sceptique. Le meurtre ne lui paraît pas lié à la crise du printemps érable. Les leurres, il a déjà donné.

Pour LP Brazeau, son partenaire, le mobile est simple: l’argent, toujours l’argent. Entre une veuve troublante, un promoteur immobilier amateur de dictons, un patron louche et un banquier qui joue au mécène, Surprenant est entraîné dans une affaire complexe, qui déborde à la fois de Montréal et des années 2010.

Les meurtres se succèdent. La sécurité de Surprenant et de ses proches, la paix même du couple inoxydable qu’il forme avec Geneviève, sont menacées. Brazeau a tort: il ne s’agit pas simplement d’argent. Quelqu’un cherche à se venger. Surprenant fouille la ville avec une nouvelle coéquipière allumée. De ces jours trépidants, il sortira changé.

Situation personnelle de Surprenant: Geneviève traverse une crise personnelle. William, le fils aîné de Geneviève, sort avec une activiste. Laurie, la fille apparue dans le quatrième tome de la série, prend une plus grande place dans la vie de la famille.


«On finit toujours par payer» ou la surprenante histoire d’un livre improbable

5 décembre 2023

Printemps 2002. J’habite Québec depuis bientôt huit ans, après une douzaine d’années aux Îles-de-la-Madeleine. J’aime mon travail d’omnipraticien en soins physiques à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec mais entre les gardes sur place, les heures régulières et la vie familiale, il me laisse peu de place à l’écriture. Après la parution en 2000 de La Marche du fou, je fais du surplace, empêtré dans la fabrication d’un grand roman «irlandais» qui finira par donner quatorze ans plus tard une nouvelle, La Tête de violon, chez Alibis, puis, dans une version étendue, une novella éponyme chez Québec Amérique.

Je décide donc, pour m’amuser et aussi pour ne plus chercher mon chemin dans un projet qui ne débouche pas, d’écrire un roman policier. Le genre est à cette époque moins fréquenté au Québec. J’ai toujours adoré les polars. Mon éditeur de l’époque, La courte échelle, m’encourage. Ainsi, en moins de six mois, j’écrirai ce qui devait être un livre unique, ce qui deviendra le «premier Surprenant».

Je me souviens parfaitement du matin – était-ce un samedi, un dimanche ou le petit matin d’un jour de travail? – où j’ai campé en moins d’une page le personnage d’André Surprenant, sergent-enquêteur à l’escouade de la SQ des Îles-de-la-Madeleine. Au-delà de la description physique, un grand brun aux cheveux de jais, au nez fort, à qui l’on demandait s’il n’avait pas des racines autochtones, je lui ai donné une partie de mon histoire personnelle. Il sera né à Iberville et aura une histoire familiale plutôt trouble, marquée par la disparition de son père en pleine crise d’Octobre. Quant à son étonnant patronyme, je le choisis parce qu’il est enraciné en Montérégie, surtout parce que je le trouve sonore et rigolo.

Je ne pensais pas à cette époque entreprendre une série, mais par quelque souci d’orfèvrerie, j’ai quand même créé l’armature de ce qui pouvait devenir le délice et le calvaire d’un écrivain: un personnage récurrent.

Le reste est de l’histoire. Le livre s’est écrit rapidement, dans une sorte de plaisir jubilatoire. À mi-chemin, il fallait demander adresser une demande de subvention pour la parution, incluant un titre. Je n’en avais pas. J’ai tapé, presque une boutade, «On finit toujours par payer», parole de la victime, Rosalie Richard, alors qu’elle quitte, quelques minutes avant sa mort, La Caverne, un bar à Cap-aux-Meules. Quelques jours plus tard, mon éditrice du temps m’a assuré qu’il s’agissait d’un excellent titre et qu’elle aimerait le garder. J’étais sceptique, mais l’éditrice avait raison et le titre n’a jamais nui au livre, au contraire.

Sous la garde de Hélène Derome et d’Annie Langlois, le livre a progressé jusqu’à sa parution. Les critiques et les ventes furent bonnes, le roman gagna deux prix, fut l’objet de plusieurs réimpressions à la courte échelle avant de poursuivre sa vie chez Québec Amérique. En 2012, il fut adapté au grand cran par Gabriel Pelletier sous le titre La Peur de l’eau. Enfin, dans deux jours, les six épisodes de la télésérie «Détective-Surprenant – La fille aux yeux de pierre», produite par Version 10 et réalisée par Yannick Savard, seront disponibles sur Club Illico.

Surtout, On finit toujours par payer, le polar écrit pour s’amuser, aura été l’assise d’une série de sept romans mettant en vedette André Surprenant, sa compagne Geneviève Savoie, leurs coéquipiers, leurs familles, leurs patrons, leurs ennemis, une smala qui m’oblige à entretenir de gros fichiers de chronologie et de personnages.

Après-demain, Surprenant et Geneviève s’incarneront sous les traits de Patrick Hivon et de Catherine Brunet. Ce qui est intéressant, pour un auteur adapté, c’est de voir comment la scénarisation amène les livres ailleurs, plus loin. Dans cet état d’esprit, Marie-Ève Bourassa et Maureen Martineau ont fait un excellent travail, notamment par l’ajout d’antépisodes dans la vie de Surprenant.

Alors que je suis en train d’écrire le huitième Surprenant, ancré comme le premier, le deuxième et le sixième aux Îles-de-la-Madeleine, je vis ce rare plaisir de père-auteur: mon personnage récurrent a, comme un adulte, quitté la maison.

André Surprenant vole désormais de ses propres ailes. Ou presque.


Au salon du livre de Montréal les 25 et 26

23 novembre 2023

J’aurai le grand plaisir d’être au salon du livre de Montréal cette fin de semaine.

Je pourrai vous y rencontrer dans le cadre de la sortie récente de Nos meilleurs amis sont les morts.

Aussi pour parler de la télésérie Détective Surprenant – La fille aux yeux de pierre qui sera diffusée à partir du 7 décembre sur Club Illico.

Au plaisir de vous rencontrer!


Patrice Godin parle de «Détective Surprenant – La fille aux yeux de pierre»

18 novembre 2023

À Salut Bonjour, aujourd’hui, Patrice Godin parle de son personnage dans la série «Détective Surprenant – La fille aux yeux de pierre» qui sera en ondes le 7 décembre prochain sur Club Illico.

Il y joue le personnage de Denis Gingras, un sergent-détective dépêché de Montréal pour résoudre le meurtre de Rosalie Richard aux Îles-de-la-Madeleine. Gingras, qui a un caractère assez abrasif, entrera en conflit avec Surprenant dans le cours de l’enquête. Ils se sont aussi connus dans une vie antérieure, au cours d’une péripétie de la vie de Surprenant qui a ajouté au script, de façon brillante, par Marie-Ève Bourassa et Maureen Martineau, les deux co-scénaristes.


La bande-annonce de «Détective Surprenant – La fille aux yeux de pierre»

8 novembre 2023

Aujourd’hui, sur le site du Journal de Québec et sur différentes plateformes, est diffusée la bande-annonce de la télésérie «Détective Surprenant – La fille aux yeux de pierre», basée sur mes romans policiers publiée chez Québec-Amérique.

La diffusion commencera le 7 décembre sur Club Illico.

Les commentaires d’initiés sont extrêmement positifs. La bande-annonce elle-même est alléchante. Pour un auteur, c’est un grand bonheur de voir son œuvre adaptée par des créateurs aussi passionnés et talentueux. Des producteurs aux techniciens aux artistes, tout le monde a travaillé très fort pour tourner en quelques semaines, dans un environnement aussi exigeant que les Îles-de-la-Madeleine, six épisodes denses de fiction policière.

L’enthousiasme et le plaisir ont été tels qu’ils se sont donné un nom: l’équipe de feu.


Agrigento, la ville de Pirandello et de Camilleri

24 octobre 2023

Agrigento, une ville de soixante-mille habitants, est comme beaucoup d’anciennes places fortes juchée sur un piton rocheux, à deux kilomètres de la Méditerranée. Akragas des Grecs l’ayant fondée au sixième siècle avant JC, elle a vécu diverses changements de maîtres, sa célèbre vallée des Temples se développant cent ou deux cent ans plus tard.

Aujourd’hui, Agrigento est un des pôles touristiques les plus importants en Sicile. Sa modestie relative lui permet d’éviter les pièges qui menacent les agglomérations plus importantes, que ce soit sur les plans de la circulation que du surtourisme, de la population ou de la dénaturation culturelle. Ainsi, Agrigento demeure une ville où se déploie une réelle vie locale, alimentée par une volonté de se définir par ses plus célèbres créateurs.

Parmi ceux-ci, impossible de manquer Luigi Pirandello (1867-1936), prix Nobel de littérature 1934, dont les citations tapissent les vitrines des commerces de la rue Atenea, principale artère de la vieille ville. Nouvelliste, romancier, Pirandello a surtout été reconnu comme dramaturge. Ses pièces, notamment Six personnages en quête d’auteur, ont été abondamment jouées depuis soixante ans. Des noms de personnages célèbres sont repris dans la culture locale, de même que l’image stylisée de son célèbre chapeau. Le Teatro Pirandello, sur la piazza qui porte son nom, est une splendeur architecturale mais surtout un théâtre toujours actif.

Quant à son œuvre elle-même, un de ses principaux thèmes est l’incommunicabilité. Six personnages en quête d’auteur met en scènes des personnages qui ne peuvent comprendre et partager un drame commun à cause des images différentes qu’ils en ont. Le tout est à mettre en parallèle avec Pirandello lui-même, dont l’épouse souffrait de troubles psychotiques et a été internée.

L’autre pôle littéraire de la ville est Andrea Camilleri (1925-2019), romancier prolifique et tardif. Il est le plus souvent cité en relation avec ses polars mettant en scène Salvo Montalbano, mais il a écrit d’autres excellents romans. Né à Porto Empedocle, le port au sud-ouest de la ville principale, il a été un phénomène littéraire, autant par le charme de ses personnages et de ses intrigues que par son emploi d’un vocabulaire unique, croisement d’italien et de sicilien local. Ses romans se caractérisent par une certaine truculence, aussi par une volonté de concision.

Dans le paysage littéraire, Pirandello et Camilleri sont aussi éloignés que le sont leurs statues sur la rue Atenea, l’une formelle à l’ouest sur l’élégante piazza Pirandello, l’autre, une statue-chaise sur laquelle tout un chacun peut se faire photographier, à l’est, dans un secteur plus commercial.

Avec ses ruelles escarpées, ses bons restaurants, son identité conservée, aussi ses trésors archélogiques et architecturaux, Agrigento est une ville où on a envie de retourner. Comme quoi mettre en valeur des écrivains, ce n’est pas si fou que ça.


Cefalù, entre l’accent grave, la Rocca, Lawrence Durrell et les maudits téléphones

17 octobre 2023

Le voyageur qui débarque à Cefalù, à quelques cinquante kilomètres à l’est de Palerme, est frappé par deux choses.

Tout d’abord la Rocca, un promontaire calcaire de 270 mètres de hauteur, dominant la ville comme une verrue ou plus noblement une tête d’escargot, cette dernière analogie ayant peut-être donné, d’après le grec Kephaloidion dérivé de képhalos, tête, son nom à la vielle cité. La Rocca est certainement spectaculaire, mais à peine moins remarquable que l’accent grave qui surmonte, tel un chapeau de carnaval, le U final de Cefalù.

La lettre isolée U se prononçant toujours ou en italien, quelle est son utilité? Existe-t-il des U accent aigu? J’en cherche encore, mais ce n’est pas ma première perplexité face à l’italien, une langue supposément facile qui se révèle à l’usage, comme les couloirs d’un château médiéval, semée d’oubliettes et de chausse-trappes.

Quoi qu’il en soit, le voyageur tirant sa valise à roulettes vers le centre de Cefalù tombe bientôt sous le charme d’une petite ville extraordinaire. Ce n’est pas parce qu’un lieu charmant devient touristique qu’il cesse d’être charmant. Du moins, pas tout de suite. Il existe une période de grâce pendant laquelle les deux états peuvent cohabiter, notamment en basse-saison. En arpentant les rues étroites de la vieille ville, en s’introduisant dans les passages obscurs qui séparent des pâtés de maison dont certains semblent dater des Croisades, le voyageur ressent un authentique frisson, d’autant plus que les locaux traitent l’invasion planétaire avec un sain mépris. Curieusement, dans cet espace traversé par des bipèdes parlant plus de vingt langues internationales, les habitants de Cefalù semblent trouver moyen de mener une existence presque normale, peut-être parce qu’ils tirent l’essentiel de leur subsistance des retombées, que ces dernières soient des factures de restaurant, de boutiques ou de services.

Le tout est peut-être favorisé, en cette éternelle fin de saison dystopique, par un temps estival, vingt-quatre, vingt-cinq, vingt-six, vingt-sept degrés, qui n’en finit plus de finir. La mer est chaude, les itinérants numériques se font toujours rôtir sur la spiaggia, le soir venu tout un chacun déguste son Spritz Aperol ou son negroni en manches courtes sur la place du Duomo.

Mais le climat n’est qu’accessoire. Ce qui joue et ce qui jouait il y a deux mille ans, c’est la beauté des lieux, l’extraordinaire convergence de ce rocher, de cette plage, de ces montagnes, de cette mer sur la côte nord de la Sicile, à quelques dizaines de kilomètres de ce Mordor qu’est Pazzolermo, Palerme la folle.

Lawrence Durrell, le grand écrivain irlando-britannique, dont Le Quatuor d’Alexandrie constitue toujours, à mon avis, un des plus grands cycles romanesques du vingtième siècle, a publié en 1961 un livre intitulé Cefalu. L’auteur ayant dérivé vers la fin vers des considérations ésotériques qui annoncent, comme l’œuvre de Kerouac, le psychédélisme, le livre raconte un voyage initiatique où apparaît cet archétype méditerranéen, le Minotaure. Cefalù, la ville où a été tourné le chef d’œuvre Cinema Paradiso, semble ne pas pouvoir échapper à son pouvoir d’évocation. J’y passe quelques jours bienheureux en me disant que, malgré tout, j’aimerais y revenir.

Pourquoi? Je ne sais pas. Il y a certainement le bruit de la mer en bas sur la plage. Il y a ce rocher en forme de verrue et cet accent grave sur le U. Il y a aussi tous ces gens qui déambulent, qui mangent, qui prennent l’apéro les yeux fixés sur l’écran de leur smartphone. Je tu il nous sommes tous ce soir à Gaza, à Bruxelles ou aux États-Unis où – notez l’accent grave – sévit le Triste Soron aux cheveux oranges. Nous ne lisons pas Durrell, nous dansons sur le fil de l’extinction, dans cet été anormal qui n’en finit plus.

Quand il n’y aura plus de smartphones, d’accents graves, de bombes ou de roquettes tuant des civils palestiniens, juifs ou autres, il restera toujours la Rocca.


Fitzgerald, Sagan, Ventura et Juan-les-Pins

8 octobre 2023

Parmi les revues qui pénétraient dans la maison de mon enfance et qui meublaient mon imaginaire, il y avait évidemment le Paris Match. C’est ma mère qui l’achetait. Peut-être y était-elle abonnée? Il y avait beaucoup de photos, des gros titres, quelques articles sur l’actualité française et internationale. Il y avait surtout une quantité de ragots sur ce qui reste des familles royales ou sur leurs succédanés, les vedettes, autant du cinéma que du sport ou même de la littérature.

À neuf ou dix ans, je dévorais certains articles, moins sur les princes ou les duchesses de ce monde que sur les artistes, que ce soit les acteurs que je voyais à la télé ou les auteurs que je ne lisais pas encore, mais qui peuplaient les rayons des bibliothèques des plus grands. Du logement en haut de la pharmacie Lemieux, à Iberville, aux rues de Paris ou aux plages de Deauville, il y avait un grand pas. Dans cette France qui meublait tout de même une grande partie de l’imaginaire québécois, un lieu était particulièrement intriguant: la Côte d’Azur. D’abord parce qu’il semblait paradisiaque et réservé aux nantis, ensuite parce qu’il semblait encourager une certaine rage de vivre ou peut-être simplement des excès.

Françoise Sagan connaît une gloire précoce en 1954, à dix-huit ans, avec Bonjour Tristesse. D’elle je retiendrai surtout sa propension à conduire des voitures sport pieds nus sur les lacets traîtres des routes du littoral. Ce danger sera illustré par la mort en 1982, dans un accident d’auto, de Grace de Monaco, une autre «princesse» dont se repaissait Paris Match.

De Scott Fitzgerald, je serai frappé par les échos de la vie mondaine qu’il menait dans les années 20 à Juan-les-Pins ou à Saint-Raphaël. Tender is the night en parlera abondamment. Plus tard, toujours dans Paris Match, je lirai des articles, verrai des photos de Lino Ventura jouant aux boules à Saint-Paul-de-Vence avec Brel et Montand. Il faut imaginer qu’aujourd’hui, avec la masse de touristes qui fouillent l’Europe, ils ne pourraient s’adonner tranquillement à leur jeu.

Mais le nom qui titillait le plus mon imaginaire, c’était Juan-les-Pins, sans doute une question de sonorité, qui sait une résonance avec le mythe de Don Juan. Je viens d’y passer deux semaines, le temps de tomber sous le charme, aussi de m’apercevoir que le Juan-les-Pins de mon enfance, cet espace imaginaire supporté par quelques photographies, n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. La station balnéaire fait maintenant partie d’Antibes. Il y a certainement des touristes, mais aussi beaucoup de retraités, de France ou d’ailleurs. Il y a toujours un casino, un festival de jazz, mais le lieu se signale plus par la beauté de sa baie, de ses plages, que par la frénésie de la vie nocturne des happy few du jet set. Les grands pins, les façades blanches, certaines un peu décaties, les parcs aux vieilles clotures de fer forgé, les rues sombres bordées de platanes, la promenade dégagent une beauté douce, mélancolique, surtout à la fin d’un été anormalement sec et chaud.

Hier, dans la petite gare inondée de soleil, j’ai pris le train vers Ventimille, puis Gênes. Demain, je prendrai le traversier pour la Sicile, autre lieu mythique, que j’ai davantage connu par Cammilleri ou Coppola que par le Paris Match.