John Banville, un écrivain irlandais à la prose somptueuse

4 septembre 2025

Comme probablement la majorité des Québécois, j’ai d’abord connu l’Irlande par sa musique. JIgs, reels et slipjigs se sont mariés, au cours des siècles, avec les vieux airs français pour former la base de la musique traditionnelle québécoise. Quand je me suis vraiment intéressé à notre part irlandaise, j’ai bien sûr noté l’apport migratoire, ces dizaines de milliers d’immigrants catholiques issus des famines qui se sont fondus avec la majorité «canadienne» au dix-neuvième siècle. J’ai aussi pris conscience de notre parenté politico-culturelle. Nos voisins de l’autre côté de l’Atlantique nord ont eux aussi été conquis par la Grande-Bretagne. Les destins du Québec et de l’Irlande sont pourtant très différents. Les Irlandais ont acquis leur indépendance en 1921, mais ils vivent surtout en anglais. Les Québécois vivent à l’intérieur du Canada, mais la majorité francophone parle (encore) sa langue.

Bien plus tard, j’ai visité l’Irlande et commencé à fréquenter leurs écrivains. La littérature iralndaise est extraordinairement riche et vivante. Il est possible que, per capita, aucun autre pays n’ait produit autant de grands écrivains. Joyce, Beckett, Yeats, Heaney appartiennent au passé. Claire Keegan, Colm Toibin, Sally Rooney, Roddy Doyle, Paul Lynch (entre autres) animent une littérature de très haut niveau.

Parmi eux, John Banville, né en 1945 à Wexford, est un auteur important. Récompensé par le Booker Prize pour The Sea en 2005, il a aussi été récompensé par le Prix Kafka et le Prix Princesse des Asturies. Il a aussi écrit, d’abord sous le pseudonyme de Benjamin Black, maintenant sous son nom, une série de romans policiers. C’est par ceux-ci que l’auteur de polars que je suis l’a abordé. Banville, qui a des côtés polémistes, qualifie le roman policier de cheap fiction. Le moins que l’on puisse dire est qu’il apporte un très grand soin et un très grand talent à celle-ci.

Banville se démarque dès l’abord par son style à la fois précis et somptueux. Il est rare que ces deux adjectifs soient accolés. Banville est un perfectionniste. Chaque description est fouillée, évocatrice, imagée. Les dialogues sont profonds, astucieux. Les personnages sont complexes, attachants. La série de policiers mettant en vedette le pathologiste Quirke est campée dans les années 50, avant la télévision, l’Internet et les avancées scientifiques de la police. Ces romans, magnifiquement écrits, pourraient être présentés comme du Siménon ou de l’Agatha Christie sous stéroïdes. Il s’agit, spécialement dans la langue originale, d’un anglais exigeant, impossible à déchiffrer complètement sans dictionnaire. J’ai lu qu’il s’agissait d’hyberno-english. En tout cas, ce n’est pas facile, mais ça se goûte et s’apprivoise.

J’ai maintenant l’intention de commander et de lire The Sea.


Le charme sobre d’Indridason

11 avril 2024

J’ai lu Le mur des silences, le quatrième tome de la série Konrad d’Arnaldur Indridason. Ce n’était pas mon premier de ce maître islandais, loin de là. Peut-être le cinquième ou le sixième, je ne les compte pas. Tout auteur est d’abord un lecteur, le dernier nourrissant le premier. Aussi je ne lis pas un polar sans m’intéresser, c’est inné, au style et à la manière.

Le charme et la popularité du polar scandinave tiennent évidemment à la singularité des paysages, des intrigues et des personnages. Je soupçonne qu’ils relèvent aussi de particularités de la langue, en particulier cet usage omniprésent du tutoiement, des prénoms, aussi de ce que j’appellerai la brusquerie du dialogue.

Ainsi chez Indridason, les personnages ne portent l’écrasante majorité du temps qu’un simple prénom. Ils ne sont pas décrits physiquement, sauf de façon sommaire, par un détail qui sera repris ou exploité dans l’action. Par exemple, Luther est boiteux, mais recevra aussi quelques coups de pieds sur sa jambe malade.

Konrad, le policier à la retraite en vedette dans la série, est assez monolithique, fumeur, buveur, un peu coureur, mais surtout obstiné. Son appartement semble plutôt sordide. Ses relations avec ses proches sont presque toujours conflictuelles. Au total, c’est un Wallander encore plus renfrogné. L’écriture est chorale, à la troisième personne, portée par ces squelettes imprécis synthétisés dans des prénoms. Les chapitres sont courts, égaux. L’intrigue dans le cas présent est double ou triple, les différentes branches se rejoignant, dans le style chalet central de station de ski, dans une résolution tardive.

Les relations entre les personnages ou leur passé font parfois l’objet de développements, toujours dans un style direct et synthétique. Pas d’images, pas de métaphores, des faits, des dialogues, de l’action.

Entre les scènes, Konrad boit un café ou une bière, fume un cigarillo, rêve peu, ne s’évade pas comme Bosch dans une pièce de jazz, comme Brunetti dans un livre ancien. On passe d’une scène d’action à une autre scène d’action, sans entre-deux, comme dans les films de bandit qu’évoquait Sylvain Lelièvre. Des rappels escortent le lecteur dans le passé proche et lointain.

Ainsi l’on est inexorablement entraîné d’une page à l’autre, sans jamais ou presque avoir l’impression de perdre son temps. Dans mon souvenir, ses premiers romans comme La Cité des jarres ou La Femme en vert étaient plus «fleuris». Je me trompe peut-être.

Tous ces facteurs font qu’Indridason connaît un succès si retentissant. Ses romans sont tout simplement efficaces, en plus de dégager un charme sobre, solide.