Journal d’Asie 2 – Le Pocket Rocket est mort à Phnom Penh

Le voyage, c’est bien connu, entraîne de multiples décalages. Le plus commun est l’horaire, ces nuits blanches passées à lire, ces journées à combattre les baillements en début de parcours, puis en Asie du Sud-Est cette inversion du PM et du AM avec le Québec.

L’autre décalage est culturel. Par exemple, mon téléphone m’informe que Henri «Pocket Rocket» Richard, cet illustre descendant des Îles-de-la-Madeleine, a passé le Sherwood à gauche, à 84 ans, à Montréal, tandis que je visite le Palais Royal à Phnom Penh. Devant une pagode, devant un éléphant blanc, littéral, j’ai éprouvé un pincement au coeur. Le numéro 16 du Canadien, je le savais, était âgé et diminué. Néanmoins, il part avec une partie de moi-même. Laquelle? demandai-je à Bouddha, qui sait peut-être un fan des Bruins.

Le joueur était teigneux, remarquable par la hargne avec laquelle il manoeuvrait ses 5 pieds 7 pouces au milieu des défenseurs patibulaires qui sévissaient derrière les lignes bleues adverses. (À cette époque pré-Bobby Orr, les défenseurs ne «montaient» pas la puck, à moins qu’ils ne s’appellent Harvey). Enfant, je me souviens surtout de lui par les commentaires qu’il inspirait à mon père, qui fumait cigarette sur cigarette sur le chesterfield devant l’antique TV Dumont: «Regarde, Jeannot. Il vient encore de contourner le but pour aller se faire étamper dans la bande avant de faire une passe! Bon à rien!»

Je m’en souviens. C’était effectivement le jeu classique de Richard en fin de carrière. Il entrait dans la zone-zone* par le centre, débordait le défenseur par l’aile gauche, s’arc-boutait sur ses patins, manoeuvrant la rondelle de sa seule main gauche, contournait le but, puis tentait de faire une passe dans l’enclave. Au sortir de l’arrière du but, trois possibilités: il effectuait la passe, il se faisait étamper dans la bande ou les deux.

Bon à rien? Certainement pas. Je me souviens très bien DU but de Richard en finale contre Chicago. Ça donnait la coupe Stanley, Graal du peuple, ou une victoire en prolongation. Tout compte fait, le vieux Pocket Rocket avait foncé droit au but et avait trouvé moyen d’entraîner la rondelle avec lui, avec son jack-strap, avec son gant, avec ses dents, on ne l’a jamais su. La GRC a trafiqué la bande vidéo par la suite.

11 Coupes Stanley, on s’entend que ça n’arrivera plus. On retiendra aussi d’Henri Richard qu’il était un capitaine aussi redouté que respecté, qui ne s’était pas gêné pour envoyer une claque à son coach, Al McNeil, qui lui avait manqué de respect. On retiendra aussi qu’il ne parlait pas pour rien. Une notice nécrologique du NY Times (ça aussi, faut le faire), rapporte le dialogue suivant, en 1955, lors du premier camp d’entraînement du jeune Henri, 19 ans:

  • Hector «Orteil» Blake (coach) s’adressant à Maurice Richard, 34 ans: «Your brother, can he speak English?»
  • Maurice Richard: «Huh… I don’t know if he speaks French.»

Quel numéro aurait porté Bouddha s’il avait joué pour le Canadien? Chose certaine, s’il était encore disponible en milieu de première ronde, en juin prochain, je le repêcherais.

 

* zone-zone: célèbre mot d’enfant d’un de mes enfants, dont je tairai le prénom, alors que nous écoutions un match lors des Olympiques de 1994. Le commentateur anglophone employait souvent «…in his own zone». D’où la question: «C’est quoi, papa, la zone-zone?»

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