Les murs de Derry, dix-sept ans après «The Troubles»

Derry, ou officiellement Londonderry, a été fondée au début du dix-septième siècle par des marchands anglais désireux de protéger leurs intérêts dans le nord de l’Irlande. L’appellation «Derry» était une déformation du gaélique «Doire». Le préfixe «London» fut ajouté pour souligner l’emprise anglaise sur la nouvelle cité.

Aujourd’hui encore, bien que «Derry» soit beaucoup plus utilisé que «Londonderry», l’usage de l’un ou l’autre nom demeure un élément divisif entre catholiques et protestants. Le préfixe londonien, planté devant le nom tiré du gaélique, est aussi railleur (ou démodé selon le point de vue) que la vieille ville, ceinte de ses murailles, dominant le bogside, dans un arrangement qui n’est pas sans rappeler Québec avec ses haute et basse villes.

The Troubles, l’affrontement socio-politique qui a déchiré l’Irlande-du-Nord entre la fin des années 1960 et 1998, a entraîné la mort de plus de 3500 personnes, civils, militaires, paramilitaires. Le conflit, dont les racines remontent à l’établissement de colons protestants par la couronne anglaise au dix-septième siècle et, plus récemment, à la partition de l’Irlande en 1922, est trop complexe pour le résumer ici. Depuis les accords de Belfast (The Good Friday Agreement) signés en avril 1998, l’Irlande du Nord vit dans une paix relative, à peine troublée par de rares incidents, dont certains demeurent meurtriers.

Il suffit de se promener dans Derry aujourd’hui pour comprendre que ces accords, s’ils marquent un progrès, ne constituent qu’une trêve. La vie quotidienne en Irlande du Nord demeure marquée par les barrières entre les nationalistes catholiques et les unionistes protestants. Le système d’éducation est confessionnel. Les six comtés d’Irlande-du-Nord, détachés des 26 comtés qui composent la république libre d’Irlande, font toujours partie du Royaume-Uni. Son secteur manufacturier durement touché par la globalisation, administrée par un gouvernement mixte, mais qui demeure quasi rhodésien par son conservatisme, l’Irlande du Nord accuse un retard sur sa voisine du sud, qui vient par exemple d’approuver le mariage entre conjoints de même sexe.

Sous les remparts de la ville fortifiée, le long de la frontière avec le bogside, les monuments dédiés aux victimes des Troubles sont devenus l’une des principales attractions de la ville. S’y trouvent, notamment, un pan de mur sur lequel s’étale, en grosses lettres: YOU ARE NOW ENTERING FREE DERRYun monument en forme de H dédié aux grévistes de la faim morts dans l’aile H du Maze, ainsi qu’un mémorial pour les 14 victimes du Bloody Sunday, le mitraillage, le 30 janvier 1972, d’une foule de manifestants par les forces armées britanniques.

Au-delà de cette ligne imaginaire, des maisons de brique en rangées, modestes et quelques peu tristounettes, qui ne suintent ni l’opulence ni la misère, mais plutôt une gêne, une rage rentrée, délétère, muette. Du côté de la Foyle, quelques rues marchandes qui témoignent à la fois d’une volonté de renouveau et d’une réalité économique difficile.

Dans un pub, alors que s’annonce un match entre l’Écosse et l’Irlande, A soldier’s song, l’hymne national irlandais, ne soulève pas d’enthousiasme chez les buveurs du samedi après-midi. Ces hommes, majoritairement ou exclusivement catholiques, sont certes irlandais, mais ils sont prisonniers de cet espace politique cloisonné, où l’espoir d’une réunification avec leurs cousins du sud devient chaque année plus illusoire.

Les murs de Derry, qui ont soutenu en 1689 un siège de 105 jours, sont, comme ceux de Québec, bien épais.

One Response to Les murs de Derry, dix-sept ans après «The Troubles»

  1. Marie-Véronique Salvagniac dit :

    Très intéressante cette visite de Derry

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