Le Saint-Laurent, avant de porter son nom chrétien, était Magtogoek, le «chemin qui marche».
À ce compte, la Rambla, ce grand boulevard ombragé qui draine le centre de Barcelone jusqu’à la statue de Colomb et, au-delà, à la mer, est un fleuve. Les gens, Barcelonais et touristes confondus, s’y laissent dériver, comme du bois de coupe, parfois sans autre but que d’être là, d’observer, d’admirer, de participer. Les indigènes ne paraissent pas moins désœuvrés que les visiteurs.
Barcelone, deuxième ville d’Espagne, est une métropole moderne et dynamique. Pourtant j’ai l’impression que personne n’y travaille beaucoup. Dans le centre, je cherche en vain ces cubes de verre dans lesquels de jeunes loups cravatés jonglent avec des deniers. Du haut du Montjuic, j’aperçois en périphérie des grues, des buildings, dont certains possèdent des formes inoubliables, dont ce phallus mauve familièrement surnommé «le Pénis». S’il se brasse des affaires, ce doit être là.
Barcelone est aussi un port, d’où rayonne des cargos, des bateaux de croisière. Sans être une station balnéaire, la ville possède de belles plages, à l’est de la Barceloneta. Y vit, carte de visite, l’héritage de Gaudi, de la Sagrada Familia au Parc Güell aux maisons qu’il a semées dans la ville, ces apologies du baroque et de la courbe. Les jeunes portent des tenues colorées, audacieuses. La ville veille jusqu’aux petites heures, se lève tard, un peu courbaturée. Le tissu social est une courtepointe, continentale, maghrébine, sud-américaine, asiatique, africaine. L’identité politique et la langue sont doubles, catalane et espagnole.
Pour toutes ces raisons, je m’éveille ce matin dans une ville adolescente, bigarrée, presque dénuée d’angoisse. Barcelone est une ville où on a simplement envie de vivre.
« Pénis » : s’il se brasse des affaires, ce doit être là. Je ne sais pas si c’est intentionnel, mon Jean, mais c’est tordant.