Ce que j’aime par-dessus tout dans l’écriture, c’est de fréquenter mes personnages.
Quand je rencontre des lecteurs, la question surgit presque à coup sûr : comment les créez-vous?
La réponse est complexe. Les détails sont peu intéressants. Certains écrivains ont une méthode. La mienne est d’en avoir le moins possible. Je crée le plus souvent mon personnage sur le tas, au milieu d’une scène, d’une situation dans laquelle il doit réagir. Je cherche dès le début à le laisser faire, à l’observer. Bien sûr, certains personnages centraux possèdent, dès leur naissance, un carnet de commande chargé : ils porteront l’action ou fourniront le principal point de vue. D’autres, périphériques lors de leur naissance, imposeront leur présence et deviendront des acteurs importants dans la narration. Certains, enfin, disparaîtront sans laisser de traces durables.
Le plus grand plaisir du romancier est de sentir que son personnage, d’abord une simple esquisse imaginaire, possède désormais sa vie propre. Devant eux, je suis comme au théâtre. Le plus souvent, je connais la fin de l’histoire. Je préfère de loin l’ignorer et me laisser porter par le fil des événements. Cette méthode de construction du récit, que je qualifierais d’organique, recèle des dangers. Il m’est arrivé plusieurs fois de ne pas terminer des livres. Mais il est rare qu’il n’en reste rien qui ne soit utilisable pour une autre histoire.
Les personnages sont tellement vivants qu’ils continuent à évoluer, pendant des années, quand leur créateur a l’esprit ailleurs. Je travaille présentement à un récit dans lequel resurgissent des personnages poussiéreux. À mon insu, ils ont changé. Ils me surprennent chaque fois que je pose les doigts sur mon clavier.