Printemps de Prague

(Plus bas, une critique de Prague sans toi, par Christian Desmeules dans l’édition du 9 novembre du Devoir. )

 

Prof de littérature au cégep de Limoilou, écrivain en hibernation, menuisier amateur, Patrick Robillard s’est un peu perdu de vue depuis les onze ans qu’il est marié avec Eva, une musicienne tchèque devenue seconde clarinette au sein de l’Orchestre symphonique de Québec.

 

Amoureux « sans remède » et jeune docteur en littérature comparée à Prague au début des années 2000, il avait séduit sa belle en portant un tricorne rouge et en jouant à l’écrivain qu’il n’était pas encore. Mais tout ça lui semble loin. Il n’est plus aujourd’hui que « Papatrick », version familiale et québécoise de l’homme à tout faire, obnubilé par le bien-être des deux jeunes enfants du couple. « Peut-on traverser les décennies sans rencontrer de brume ? », se demande-t-il.

 

Le narrateur de Prague sans toi, le dernier titre de Jean Lemieux, auteur de nombreux romans, dont On finit toujours par payer et Le mort du chemin des Arsène (La Courte Échelle, 2003 et 2009), a depuis longtemps mis ses ambitions littéraires entre parenthèses.

 

C’est ainsi que le roman alterne, avec la voix de Patrick, entre leur rencontre d’autrefois à Prague et leurs difficultés d’aujourd’hui. Si la musicienne a toujours été pour lui un « lac profond enchâssé entre de hautes forêts » et demeure encore une énigme, il a depuis un certain temps de moins en moins accès à ses pensées ainsi qu’à sa « caverne enchanteresse ». Pire : l’homme d’imagination qu’il est se met à croire que sa femme le trompe, avec un trompettiste de l’orchestre, et qu’elle songe à le quitter.

 

Et pendant tout ce temps le Quintette avec clarinette de Mozart continue de résonner, comme l’inverse parfait de l’état d’esprit de ce protagoniste inquiet, tourmenté et terrifié à l’idée de perdre le plus important de tous ses repères.

 

Rompre dans la dignité

 

En désespoir de cause, Patrick conçoit un coup d’éclat afin de forcer le dialogue : retourner à Prague, sans Eva, à la fin de l’année scolaire. Espérer que le climat de leur couple se réchauffe. Mais « Prague, cristal intemporel, est la même, mais la magie n’opère plus ». Patrick arpente la ville et remonte des « fleuves de pilsner » sans trop savoir ce qui l’attend.

 

Portrait sensible d’un amour ébréché, Prague sans toi peut compter sur une narration habile, même si elle est relativement conformiste. Sans oser vraiment explorer les zones les plus sombres de la vie et du couple, le roman ne verse pas non plus dans la légèreté et la caricature conjugale. Jean Lemieux y dessine un personnage crédible d’homme arrivé au mi-temps de sa vie, mis en demeure de concilier les trois cornes de son chapeau : celles d’amant, de père et de créateur.

 

Tel une sorte de memento mori pour le couple, Prague sans toi explore de façon sympathique le thème de l’usure du couple, à travers une tentative un peu tardive, maladroite et désespérée de ramener à la vie un mourant. La fin du roman laisse dans une certaine mesure en suspens l’issue de leur différend. Et tout cela nous rappelle qu’en amour, comme dans les romans qu’on écrit, on ne trouve souvent que ce qu’on y met soi-même. Pas vrai ?

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