Printemps 2002. J’habite Québec depuis bientôt huit ans, après une douzaine d’années aux Îles-de-la-Madeleine. J’aime mon travail d’omnipraticien en soins physiques à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec mais entre les gardes sur place, les heures régulières et la vie familiale, il me laisse peu de place à l’écriture. Après la parution en 2000 de La Marche du fou, je fais du surplace, empêtré dans la fabrication d’un grand roman «irlandais» qui finira par donner quatorze ans plus tard une nouvelle, La Tête de violon, chez Alibis, puis, dans une version étendue, une novella éponyme chez Québec Amérique.
Je décide donc, pour m’amuser et aussi pour ne plus chercher mon chemin dans un projet qui ne débouche pas, d’écrire un roman policier. Le genre est à cette époque moins fréquenté au Québec. J’ai toujours adoré les polars. Mon éditeur de l’époque, La courte échelle, m’encourage. Ainsi, en moins de six mois, j’écrirai ce qui devait être un livre unique, ce qui deviendra le «premier Surprenant».
Je me souviens parfaitement du matin – était-ce un samedi, un dimanche ou le petit matin d’un jour de travail? – où j’ai campé en moins d’une page le personnage d’André Surprenant, sergent-enquêteur à l’escouade de la SQ des Îles-de-la-Madeleine. Au-delà de la description physique, un grand brun aux cheveux de jais, au nez fort, à qui l’on demandait s’il n’avait pas des racines autochtones, je lui ai donné une partie de mon histoire personnelle. Il sera né à Iberville et aura une histoire familiale plutôt trouble, marquée par la disparition de son père en pleine crise d’Octobre. Quant à son étonnant patronyme, je le choisis parce qu’il est enraciné en Montérégie, surtout parce que je le trouve sonore et rigolo.
Je ne pensais pas à cette époque entreprendre une série, mais par quelque souci d’orfèvrerie, j’ai quand même créé l’armature de ce qui pouvait devenir le délice et le calvaire d’un écrivain: un personnage récurrent.
Le reste est de l’histoire. Le livre s’est écrit rapidement, dans une sorte de plaisir jubilatoire. À mi-chemin, il fallait demander adresser une demande de subvention pour la parution, incluant un titre. Je n’en avais pas. J’ai tapé, presque une boutade, «On finit toujours par payer», parole de la victime, Rosalie Richard, alors qu’elle quitte, quelques minutes avant sa mort, La Caverne, un bar à Cap-aux-Meules. Quelques jours plus tard, mon éditrice du temps m’a assuré qu’il s’agissait d’un excellent titre et qu’elle aimerait le garder. J’étais sceptique, mais l’éditrice avait raison et le titre n’a jamais nui au livre, au contraire.
Sous la garde de Hélène Derome et d’Annie Langlois, le livre a progressé jusqu’à sa parution. Les critiques et les ventes furent bonnes, le roman gagna deux prix, fut l’objet de plusieurs réimpressions à la courte échelle avant de poursuivre sa vie chez Québec Amérique. En 2012, il fut adapté au grand cran par Gabriel Pelletier sous le titre La Peur de l’eau. Enfin, dans deux jours, les six épisodes de la télésérie «Détective-Surprenant – La fille aux yeux de pierre», produite par Version 10 et réalisée par Yannick Savard, seront disponibles sur Club Illico.
Surtout, On finit toujours par payer, le polar écrit pour s’amuser, aura été l’assise d’une série de sept romans mettant en vedette André Surprenant, sa compagne Geneviève Savoie, leurs coéquipiers, leurs familles, leurs patrons, leurs ennemis, une smala qui m’oblige à entretenir de gros fichiers de chronologie et de personnages.
Après-demain, Surprenant et Geneviève s’incarneront sous les traits de Patrick Hivon et de Catherine Brunet. Ce qui est intéressant, pour un auteur adapté, c’est de voir comment la scénarisation amène les livres ailleurs, plus loin. Dans cet état d’esprit, Marie-Ève Bourassa et Maureen Martineau ont fait un excellent travail, notamment par l’ajout d’antépisodes dans la vie de Surprenant.
Alors que je suis en train d’écrire le huitième Surprenant, ancré comme le premier, le deuxième et le sixième aux Îles-de-la-Madeleine, je vis ce rare plaisir de père-auteur: mon personnage récurrent a, comme un adulte, quitté la maison.
André Surprenant vole désormais de ses propres ailes. Ou presque.

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Publié par jeanlemieux