Je fréquente les polars d’Ian Rankin depuis plus de deux décennies. J’y trouve certainement des intrigues complexes et un rendu vivant de l’Écosse contemporaine. J’y trouve aussi un art littéraire consommé, un ton et des personnages inimitables.
J’ai terminé cette nuit, dans ma période d’insomnie habituelle, devant le feu, Midnight and blue, vingt-cinquième roman mettant en vedette l’inspecteur John Rebus, personnage mythique qui a même fait l’objet d’interventions au parlement écossais. En lisant les maîtres internationaux du polar, mon intérêt et mon plaisir sont doubles: le lecteur lit, le romancier analyse et dissèque.
Midnight and blue est un roman singulier parce qu’une grande partie de l’action s’y déroule en milieu carcéral. John Rebus, inspecteur à la retraite allant sur ses soixante-dix ans, se trouve en effet emprisonné pour un crime que je ne divulgâcherai pas. Jamais je n’oserais camper une longue intrigue en prison: je n’en connais que les clichés. Ian Rankin est allé sur le terrain et rend compte d’une façon crédible de la réalité de l’existence des prisonniers et des gardiens dans une geôle regroupant des criminels de haut niveau. Rivalités occultes en relation avec le crime extérieur, ambivalences, menaces entre gardiens et prisonniers, attaques sauvages, tout y est. Au milieu de tout ça, John Rebus, sous la protection d’un caïd inquiétant, arrive à naviguer malgré son passé de policier.
Rebus lui-même rassemble à peu près tous les attributs classiques du policier maudit: divorcé, fumeur, buveur, rebelle, grognon, indiscipliné, intuitif et vulnérable sous une carapace de dur.
Le livre s’ouvre sur un meurtre en prison, puis déborde sur la disparition d’une adolescente dans la communauté. Cette partie de l’enquête est centrée sur l’héritière symbolique de Rebus, Siobhan Clarke, enquêtrice célibataire d’un âge indéfini. Un deuxième meurtre survient dans la communauté, celui d’un ex-footballeur aux mauvaises fréquentations, puis les intrigues s’entrecroisent jusqu’à une résolution habile et logique.
Tout au long, un peu à la manière de Michael Connelly, les infinies complexités des rouages des enquêtes policières modernes sont étalées de façon vivante, par les interactions entre les différents enquêteurs oeuvrant à la fois sur le meurtre en prison et les événements survenant dans la communauté. C’est du policier procédural de premier ordre.
Au niveau du style, Rankin se signale par un art remarquable du dialogue. Ils sont vifs, intelligents, insidieux et rendent parfaitement compte des intérêts et des particularités des personnages, policiers, mafieux ou civils. Le tout est enrobé dans un emprunt au slang écossais, aussi dans un recours tout à fait britanno-irlando-écossais à l’understatement ironique. Les personnages, même s’ils sont récurrents, sont très peu décrits physiquement. Ils se contentent d’agir et d’interagir, de rendre compte d’une société à la fois sophistiquée et brutale. Rankin, sûrement amateur de rock des années 1970-1980, ne se gêne pas pour prêter à Rebus et à d’autres personnages un amour pour cette musique.
Ian Rankin aspirait, semble-t-il, à devenir un professeur de littérature ou un auteur «sérieux». Pour notre grand plaisir, il s’est laissé aspirer par son inspecteur fétiche, John Rebus, l’ours imbibé de scotch et de nicotine.
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Publié par jeanlemieux